Le roi Mohammed VI est attendu à Abuja pour une visite officielle au Nigeria, première puissance économique du continent. L’occasion pour le souverain de s’assurer du soutien de ce pays pour la réintégration du Maroc au sein de l’UA et de renforcer les relations économiques entre les deux pays.

Le Nigéria est la prochaine étape de la tournée du roi Mohammed VI en Afrique subsaharienne entamée le 18 octobre par une visite au Rwanda. La visite du roi à Abuja est particulière à plusieurs titres. D’une part, c’est le premier voyage d’un roi du Maroc dans ce pays anglophone, considéré comme la première puissance économique et démographique du continent africain. D’autre part, le Nigéria, qui est un producteur de pétrole, fait toujours partie des pays qui reconnaissent la « RASD ». Une situation qui n’a pas empêché les deux pays d’entretenir de bonnes relations économiques.

Une nouvelle ère économique entre les deux pays

Les échanges commerciaux entre le Maroc et le Nigeria sont excellents. Le pays de l’Afrique subsaharienne est le 4e client du Maroc et absorbe 8,4 % des parts d’exportations du royaume derrière la Mauritanie, le Sénégal et la Côte d’ivoire selon un rapport de la Direction des études et des prévision financières publié en 2015. S’agissant des importations marocaines,  le Nigeria est le deuxième fournisseur du royaume en Afrique avec une 14 % des produits importés, derrière l’Afrique du Sud. Les importations en provenance du Nigeria ont « connu une hausse de plus de quatre points de pourcentage entre 2004 et 2014 »précise le rapport.

Outre les échanges, on note une timide présence des entreprises marocaines sur le marché nigérian à l’instar du groupe Saham qui a acquis en septembre 2015 une participation majoritaire dans la compagnie nigériane Continantal  Reinsurance.  Mais depuis 2016, la coopération économique entre les deux pays a pris un nouvel élan avec l’ouverture à Lagos le 19 juillet 2016 d’un colloque économique dénommé « Morocco-Nigeria, Bridging the Synergies » auquel ont pris part plus de 150 personnalités marocaines et nigérianes. Ce colloque à été organisé par le magazine mensuel Économie Entreprises en collaboration avec le Think Tank Nigérian Center for Public Policy Alternatives.

Quelques jours avant le colloque et dans le souci de se rapprocher du géant économique avant l’annonce du projet de réintégration du Maroc au sein de l’UA, Nasser Bourita, le ministre délégué aux Affaires étrangères s’était rendu au Nigéria. Une visite durant laquelle a été annoncé un projet d’installation d’une usine de fertilisants de l’Office chérifien du phosphate (OCP). Un projet révélé quelque mois auparavant par le richissime homme d’affaires nigérian Aliko Dangote qui avait annoncé être proche de la conclusion d’un accord avec le géant marocain des phosphates en vue de la mise en place d’une usine de fabrication d’engrais au Nigeria.

Cette visite royale sera donc l’occasion de tracer les contours de ce projet et d’annoncer également d’autres grands chantiers, tels que le projet gazier très ambitieux annoncé en exclusivité le mensuel marocain Economie- entreprises. Selon le média marocain ce projet estimé à plusieurs milliards de dollars fera l’objet d’un mémorandum d’entente pour la construction d’un gazoduc reliant le Nigeria au Maroc qui longera les pays de la côte ouest-africaine.

Parallèlement à la visite royale dans le pays, un forum d’affaires maroco-nigérian s’est ouvert le 30 novembre à Lagos (capitale économique à 750 km d’Abuja), en présence des représentants des patronats marocain et nigérian, ainsi que de grands groupes et de responsables des deux pays. Une forte délégation conduite par la présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Miriem Bensalah-Chaqroun,  comprenant les présidents de grands groupes marocains tels que  l’OCP, le GPBM, la SNI, MASEN, la Bourse de Casablanca, Attijariwafa Bank, Marchica Med, l’ONMT, Crédit Agricole du Maroc, BMCE Bank Of Africa, Holmarcom, BCP ou encore l’ONHYM est venue assister à cette rencontre.

Obtenir le soutien du Nigeria

Au-delà de la volonté pour le Maroc d’entamer  renforcer ses liens économiques  avec l’Afrique subsaharienne, le roi Mohammed VI cherche  du soutien en vue de la réintégration du royaume au sein de l’Union africaine avec en toile de fond la question du Sahara. Le Nigeria, un des poids lourd de l’Organisation ne dérogera pas à cette règle d’autant plus qu’il est, avec l’Algérie et l’Afrique du sud,  l’un des grands soutiens du Polisario (l’axe Alger-Abuja-Pretoria). Pourtant le Maroc compte parmi les premiers pays à avoir reconnu et établi les relations diplomatiques avec le Nigeria. « Dès l’année 1960, année de l’indépendance du Nigeria, le Maroc a ouvert une ambassade à Lagos » à l’époque capitale du pays, a écrit Mustapha Cherkaoui ancien ambassadeur du Maroc au Nigeria dans une analyse publié par l’IRES (Institut royal des études stratégiques.

Ironie du sort, c’est Muhammadu Buhari, l’actuel président du Nigeria qui a reconnu la « RASD » en 1984 lorsqu’il avait accédé au pouvoir (en 1983) au Nigeria pour la première fois, suite à un putsch. « En ce qui concerne l’avancée de la question nationale [celle du Sahara, NDLR], l’appui du Nigeria est vital » nous explique une source diplomatique marocaine.  « On parle toujours d’un axe Alger-Abuja-Pretoria  si on veut mettre à mal cet axe, il faut agir au Nigeria. Parmi ces grandes puissances, le plus proche naturellement est le Nigeria. C’est un non-sens, que le Nigeria n’ait pas d’excellentes relations avec le Maroc. Il est important que le Nigeria soit du côté du Maroc » détaille notre source. De même, « sur les 15 pays de la CEDAO, 13 sont favorables au Maroc en ce qui concerne la question nationale. Il en reste deux. Le Ghana et le Nigeria. Le Ghana [en faisant partie des pays signataires de la motion de Kigali, NDLR] s’est mis dans le sens du Maroc et il ne nous reste plus que le Nigeria »ajoute-t-il.

Coopération sécuritaire et cultuelle au menu ?

Le rapprochement entre les deux géants d l’Afrique devrait également être marqué  par  une coopération dans le domaine sécuritaire. Le Nigeria  fait fasse depuis plusieurs années à la recrudescence des actes de  terrorisme sur son territoire, menés par la secte islamiste Boko Haram. Le Nigeria pourrait avoir besoin du soutien du Maroc, devenu incontournable dans la lutte contre le terrorisme. D’autant que durant sa visite à Abuja en juillet dernier, Nasser Bourita était accompagné du directeur de la Direction générale des études et documentations (DGED), Yassine Mansouri.

Autre sujet de coopération, la religion. Le pays dirigé par un musulman sunnite, compte une importance communauté musulmane parmi laquelle les membres de la Tariqa Tijani qui occupent une place importante. « Ce pays pourrait se réaligner sur la position marocaine avec l’aide de Dakar. Le Maroc devra mettre à profit les liens spirituels à travers la confrérie tidjane, très influente au Sénégal et qui compte au Nigeria quelque cinquante millions de disciples », nous expliquait en juillet dernier Bakary Sambé, chercheur sénégalais et de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) au sein de Timbuktu Institute). Il faut noter que le Maroc, connu également pour exporter un islam modéré dans le monde, a accueilli en janvier 2016, 53 imams nigérians à l’Institut Mohammed VI de formation des imams de Rabat pour une formation à « un islam modéré » contre la radicalisation et l’extrémisme.

La Maison de la presse a organisé, en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert, un panel axé sur : ‘’Le rôle des prêcheurs des radios communautaires dans la préservation de la paix et de la sécurité au Sénégal.’’ A cette occasion, Docteur Bakary Samb de l’institut Timbuktu, en djihad contre les terroristes, a plaidé pour que les prédicateurs réactualisent leurs discours dans la lutte contre ce phénomène.

 

Les prêcheurs et les prédicateurs ont la spécificité d’avoir le quasi monopole de la parole religieuse écoutée. C’est le constat de Docteur Bakary Samb de l’institut Timbuktu. Intervenant hier sur ‘’Le rôle des prêcheurs des radios communautaires dans la préservation de la paix et de la sécurité au Sénégal’’, le chercheur a invité ces derniers à renouveler leurs discours dans la lutte contre le terrorisme. Parce que, justifie-t-il, ils ont une lourde responsabilité dans la société. ‘’A cet égard, il faut qu’ils fassent évoluer leurs méthodes pour répondre à un besoin de plus en plus pressant de religiosité au niveau de notre jeunesse. Si cette dernière ne trouve pas les ressources nécessaires sur le marché des biens symboliques, c’est-à-dire l’espace religieux sénégalais, elle va puiser d’autres idéologies qui, peut-être, ne seront pas en faveur du maintien de la paix et de la cohésion sociale au Sénégal’’, alerte-t-il.

Avant de souligner que la radio communautaire est un médium très répandu pour atteindre, accéder à toutes les couches de la population. Ainsi, par le biais de ce qu’ils disent à travers ces outils de communication, glisse le chercheur, les prêcheurs entrent dans les foyers. ‘’Et nos jeunes les écoutent. Donc, ils doivent orienter leurs discours selon une méthodologie qui fasse que les jeunes puissent comprendre les véritables messages de l’Islam. S’ils ne le font pas, ils seront remplacés par d’autres acteurs qui utilisent internet’’, met en garde Bakary Samb. Dans la même foulée, il invite les prédicateurs à investir les Technologies de l’information et de la communication (Tic). Cet appel vise à positionner l’offre sénégalaise de l’Islam paisible.

Amadou Kanouté : ‘’La menace est réelle pour notre pays’’ 

Venu représenter Alioune Dramé, directeur de la Communication au ministère de la Culture et de la communication, le chef de la division presse et information a insisté sur la stabilité qui, dit-il, est une question vitale à laquelle l’Etat, les populations et les partenaires doivent accorder un intérêt particulier. ‘’Sans paix et sécurité, c’est la porte ouverte à toutes les incertitudes. Cette menace est pourtant réelle pour notre pays, car nous vivons dans un contexte d’instabilité et de terrorisme tentaculaire. (…).

Dans un tel contexte, il est important pour les prédicateurs, dans leurs émissions, de mettre en avant un message religieux adapté et porteur des valeurs authentiques de paix, de tolérance, de solidarité, de bon voisinage, etc.’’, liste Amadou Kanouté. Pour réussir cette mission, le modérateur du débat a souligné la nécessité de les former pour qu’ils puissent s’imprégner des questions d’éthique et de déontologie. L’administrateur de la Maison de la presse, Bara Ndiaye, a quant à lui relevé que les comportements terroristes n’ont rien à voir avec les enseignements islamiques.

Timbuktu Institute a participé à la préparation des travaux du Forum International pour la Pais et la Sécurité en Afrique en collaboration avec CEIS- Paris et d’autres structures actives dans le cadre de cette manifestation.
D’ailleurs, son directeur, coordonnateur de l’Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique, Bakary Sambe donnera une communication dans le cadre de l’Atelier sur la prévention ce lundi à 12 heures.
 
S’exprimant lors du Colloque International et Interdisciplinaire à Rabat (Maroc) sur les « Radicalités en Afrique » aux côtés de d’éminents spécialistes, le Directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, Bakary Sambe a appelé à une meilleure implication des leaders religieux dans la résolution des conflits de manière générale et la prévention des extrémismes en particulier.
 
C’est dans ce cadre que le Coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) a appelé à une meilleure implication des leaders religieux lors du Prochain Forum de Dakar qui est orienté vers les solutions durables. Pour lui, « ce sont des acteurs non négligeables dans la recherche des solutions à l’extrémisme violent. Que ce soit les chefs confrériques ou les mouvements islamiques réformistes, ils peuvent apporter une grande contribution dans la construction des résiliences communautaires.
 
Ce Colloque sous organisé conjointement par l’Université Internationale de Rabat (UIR) et l’Institut de Théologie comparée Al-Mowafaqa a vu la participation des Professeurs Farid El Asri, Sophie Bava de l’IRD mais aussi la présence de leaders religieux comme Chérif Ibrahim Tijani de Fès, Tariq Oubrou,penseur musulman et Imam de Bordeaux.

Dans le cadre de la valorisation des ressources culturelles africaines endogènes en matière de prévention des conflits et des dérives extrémistes, Timbuktu Institute a lancé un YouTube Channel pour diffuser des messages de paix et de contre-discours à l’extrémisme violent.

La chaîne régulièrement alimentée par des contenus divers s’adresse aux jeunes et a déjà relayé les différentes manifestations du Programme « Educating for Peace » s’adressant aux établissements secondaires et qui va être élargi aux campus universitaires.

Pour rappel, le fondateur de l’Institut, Dr.Bakary Sambe a été l’un des représentants du continent africain à la grande initiative lancée par Google à Tokyo (Japon) il y a quelques mois, afin de favoriser la production de contenus promoteurs de paix et pouvant servir d’alternative positive aux discours radicaux ou de haine.

Le directeur de Timbuktu Institute qui vient d’intervenir à l’atelier sur la prévention lors du Forum International de Dakar sur la paix et la sécurité y a récemment déclaré que « cette forme de communication passant par la pédagogie et l’éducation va prendre plus d’ampleur d’autant plus que, comme il le dit souvent, notre monde globalisé est devenu un marché où circulent des biens symboliques, culturels et des valeurs ». Pour lui, « si notre offre de paix et de cohésion sociale n’y est pas positionnée, nos enfants vont consommer d’autres offres pas forcément compatibles avec notre idéal de paix ».

 

« Nous préparons le prochain Google Summit qui se tiendra bientôt à Nairobi début 2016 et ce sera un moment d’échanges mais surtout de promotion d’initiatives endogènes portées par des Africains en faveur de la paix et contre toutes formes d’extrémisme », rappelle l’enseignant-chercheur au Centre d’Etude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

Pour Sambe, par ailleurs, Coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) au sein du Timbuktu Institute, « il faut saluer, à l’issue du Forum de Dakar, l’appel du Sénégal par la voix du Président Macky Sall pour une meilleure sensibilisation et l’occupation des espaces numériques comme Internet par des discours positifs conformes à l’esprit de paix ».

Les attentats de Ouagadougou ont sonné la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest comme les attaques de Grand Bassam inaugurent l’ère de l’absurdité de la prévision. Les pays du Sahel doivent désormais faire face à une menace à laquelle ils étaient peu préparés. La mutation de la guerre qui place tous les Etats-majors et stratèges dans le désarroi met, aussi, à nu l’insuffisance des solutions strictement militaires et appelle à une nouvelle réflexion autour du djihadisme.

Les critères d’évaluation de la menace ont changé dans notre sous-région. Avant, il s’agissait de considérer le cadre politico-sécuritaire de nos Etats et faire des croisements selon le niveau de radicalité pour dégager des typologies. La question était de savoir s’il y avait, dans tel ou autre pays, assez d’éléments susceptibles de passer de simples relais idéologiques à des acteurs opérationnels selon des circonstances favorables. Après Ouagadougou et Grand-Bssam, il est devenu clair que les frontières poreuses du Mali ne sont plus qu’un problème malien mais donnaient naissance à un nouveau « ventre mou » menaçant la sécurité de tous les pays voisins. Dans cette configuration, les stratégies nationales adoptées ça-et-là ressemblent plus à des trouvailles circonstancielles face à un problème qui exige une véritable stratégie dans a durée.

Aussi bien la diplomatie moderne que la stratégie militaire doit intégrer cette rupture conceptuelle et se rendre à l’évidence que seules les d’initiatives régionales gardent leur pertinence dans un contexte où les frontières n’en sont plus.

Désormais, nos forces de sécurité et de défense doivent se préparer à une nouvelle forme de guerre sans fin ni front contre des forces le plus souvent non conventionnelles. Elles doivent pourtant les gagner si toutefois, elles laissent aux autres acteurs de la société le rôle qui leur revient dans la prévention en amont mais aussi la conception de cadres de resocialisation pour les éléments radicalisés.

En effet, c’est John Mueller, un des grands auteurs ayant planché sur l’avenir de la guerre vers la fin du 20esiècle, qui prophétisait en 1989 la disparition progressive de la guerre en tant qu’institution. Ainsi, nous entrerions dans une nouvelle ère que Muelleur lui-même appelait celle de la hollandisation de la société internationale où avec la « fin » déjà annoncé de l’Histoire par Francis Fukuyama, les puissances commerciales allaient se substituer aux puissances militaires.

Ce fut, alors, le pavé ainsi jeté dans la mare des théoriciens réalistes. Pour autant au lieu d’une mort conceptuelle, Clauzewitz s’était, malgré tout, aménagé une porte de sortie paradigmatique : « la guerre est un caméléon » disait-il de manière ironique mais aussi en visionnaire.

Obsolescence de la guerre voulait-elle donc dire, nécessairement, fin de la guerre ou sa mutation qui lui permet de traverser les époques comme une constante épreuve sur le chemin de la paix ?

Dans le sillage de Mandelbaum, Kiegel et autres Linda Miller, la critique finit par forger un nouveau paradigme. La guerre n’avait peut-être pas changé d’objet, mais de nature et de sens.

L’arrivée des guerres dites asymétriques a introduit de nouvelles réalités avec lesquelles les nouveaux stratèges doivent composer. Dans le schéma de Kissinger, le diplomate et le soldat formaient l’équipe duelle ou idyllique de la scène internationale. C’était sans compter avec les nouveaux acteurs qui viennent concurrencer le sujet de droit international classique qu’était l’Etat : ils s’appellent le rebelle, le prédicateur transnational, le djihadiste, le terroriste etc…

Les Etats africains doivent, désormais, intégrer la rupture conceptuelle des mouvements comme Al-Qaida depuis l’expérience afrghane. Pour les groupes djihadistes, il s’agira, de moins en moins, de visées globales coûteuses et difficilement réalisables. L’expérience malienne l’a démontré : selon un modus operandi bien simple, ces groupes bien établis, procèdent au parasitage des conflits locaux, irrédentistes, en leur donnant un habillage islamique espérant, ainsi, attirer l’Occident et ses alliés dans le piège d’une éventuelle intervention dont les bavures et maladresses vont certainement encore causer plus de radicalisation. Et c’est le cercle vicieux dont nous ne sommes pas prêts de sortir de sitôt. Il s’y ajoute que l’inéluctable militarisation à outrance du continent ainsi que les travers de la lutte contre le terrorisme par des régimes africains illégitimes ou en fin de règne, vont encore alimenter la rhétorique d’un djihadisme africain bien ancré.

Boko Haram est certes harcelé au Nigeria mais ses exactions visant les soft targets (cibles faciles) à défaut d’opérations de grande envergure, s’abattent sur tout le pourtour du Lac Tchad, de Garoua au Cameroun à Mitérié au Tchad, déstructurant les économies, décimant des villages entiers.

Le terrorisme qui, il y a dix ans, paraissait un phénomène lointain, est devenu une réalité africaine. L’allégeance de Shekau à Al-Baghdâdî et Daech, même paraissant quelque peu folklorique, en plus du bourbier libyen, est le signal que la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes a de fortes chances d’attirer de plus en plus de jeunes africains vers les sirènes de « l’Etat islamique » aux méthodes ultra-sophistiquées.

Avec une telle configuration, les solutions strictement sécuritaires et militaires ont déjà montré  leurs limites dans la lutte contre le terrorisme : les Américains sont restés plus d’une décennie en Afghanistan sans éradiquer le phénomène des talibans, malgré le mal nécessaire qu’a été Serval pour que le verrou de Konna ne saute pas et laisser les djihadistes aux portes de Bamako, les groupes armés et terroristes pullulent encore dans la zone sahélienne. Barkhane rassure mais n’arrive pas à jouer son véritable rôle malgré l’opportunité de coordination et de coopération qu’elle offre aux pays du Sahel.

Les 200 hommes d’Al Mourabitoune sous l’égide de Mokhtar Belmokhtar, les 170 activistes d’Amadou Koufa du Front de Libération du Macina et les 2000 à 3000 hommes d’Abu Al-Moughira al-Qahtani positionnés en Libye, partie intégrante de l’Etat « islamique »  auquel les 7000 hommes de Boko Haram ont fait allégeance sous l’égide d’Abou Bakr Shekau, hantent le sommeil de tous les Etats-majors militaires devant, désormais, faire face à une nouvelle forme de guerre dite asymétrique. Même si Al-Barnawi reste un personnage flou dont on ne sait pas grand-chose, le choix porté sur lui par Daech relève d’une véritable stratégie de pénétration du continent.

Il faudra donc se préparer à une nouvelle forme de guerre sans front délimité, sans armées conventionnelle, avec un ennemi diffus ou invisible, insaisissable et parfois, déjà à l’intérieur.

La transnationalité des acteurs, la porosité des frontières ainsi que la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes semblent en faveur de la propagation du phénomène djihadiste dans le Sahel. La sous-région n’est pas, totalement, à l’abri d’une telle propagation idéologique ; l’opérationnalité étant, elle, une question de circonstances. Combinés aux données stratégiques et à l’aggravation des phénomènes liés au trafic de drogue, à la prise d’otages, ces éléments impliquent une nécessaire prise en compte globale de la problématique « sécurité humaine » dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Les errements diplomatiques dans la sous-région ajoutés au dysfonctionnement de certains services de renseignements et l’installation d’instructeurs djihadistes étrangers au Nord Mali et ailleurs, montrent, malheureusement, que nos pays n’ont qu’une emprise limitée sur l’évolution de la situation.

La question de la sécurité humaine ne pourra donc être évoquée de manière séparée, des autres problèmes qui minent l’institution étatique, mais nécessitera une prise en charge pluridisciplinaire.

Au regard de l’interdépendance entre les différents risques et menaces (trafic de drogue, terrorisme, menace sur la production de nourriture liée à l’insécurité), cette prise en charge devra se faire par une approche croisée et multidisciplinaire.

L’ancrage de nombreux Etats sahéliens concernés dans le camp occidental (USA, France) et surtout la présence d’intérêt français importants en Afrique francophone font de la région du Sahel une cible naturelle. Il faudra ajouter à cela, un terrain idéologiquement favorable et des relais idéologiques non surveillés usant de la Taqiyya[1] sur fond de crise économique et sociale que ne manqueraient pas d’exploiter des groupes djihadistes comme AQMI et Almourabitoune.

Pour toutes ces raisons, nous sommes en présence d’une situation géopolitique qui doit conduire à revisiter les paradigmes sécuritaires et l’approche de la viabilité des espaces politiques : le choc entre le principe de souveraineté des Etats et la transnationalité d’acteurs défiant toutes les conceptions préétablies de l’Etat-Nation.

Dans un tel contexte, l’espace sahélien ne peut plus se passer d’une plateforme de veille stratégique pluridisciplinaire, axée sur la question centrale de la sécurité humaine, rendant possible aussi bien la prévention que la prospective sur un phénomène comme le terrorisme et d’autres qui lui sont connexes tels que le trafic de drogue et les différents facteurs de l’instabilité politique. Le Sénégal, plus particulièrement, ne peut plus évoluer en dehors des cadres régionaux tels que le G5 Sahel où son leadership et sa diplomatie pourraient être déterminants et constructifs.

Il faudra rattraper le retard dans l’élaboration de stratégies intégrées et coordonnées.

Les groupes à vocations ethniques complexifiant le phénomène djihadiste surgissent dans le centre du Mali dont le Nord avait jusqu’ici focalisé toutes les attentions. Nous avons été surpris par le dangereux cap vers le Sud dont Grand Bassa a été un fait révélateur. Pendant ce temps la question Boko Haram, menaçant tout le Bassin du Lac Tchad et même l’Afrique centrale, reste entière malgré la dernière réunion d’Abuja et les multiples stratégies sans lendemain. Elle ne pourra se régler qu’avec une stratégie interrégionale impliquant aussi bien la CEDEAO que la CEEAC si l’on veut voir un jour naître cette force africaine dont la mutualisation des moyens humains et matériels serait déjà une ébauche prometteuse.

Face à l’impératif de prévention, aujourd’hui, plus que jamais, il urge de s’atteler à la construction des résiliences communautaires qui passeront nécessairement par la valorisation des ressources culturelles africaines endogènes en termes de médiation et de résolution des conflits.

Dans cette interview, Dr. Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute (Dakar) revient sur la question de la radicalisation en Afrique ainsi que la coopération qui se dessine entre le Maroc et les pays sahéliens pour contrecarrer l’extrémisme violent. Il pointe aussi du doigt les ajustements nécessaires à la Rabita Mouhammedia des Oulémas pour qu’elle devienne un outil plus performant avec une meilleure consistance et un réel ancrage sur le plan sociopolitique. Pour l’expert sénégalais, malgré ses leviers et ressources considérables, la Rabita a encore une approche très institutionnelle qui ne lui permet pas d’atteindre ses cibles

Comment expliquez-vous la montée du radicalisme en Afrique subsaharienne ?

Comme le souligne souvent Dr Ahmad Al-Abbadi, au-delà des attaques spectaculaires, nous sommes dans une véritable guerre du sens où il ne faut pas céder la place aux discours extrémistes. Pour comprendre ce mouvement de radicalisation, il faut prendre en compte un fait global : suite à la chute du communisme, l’islam est devenu, quelque part, le « péril vert » après « le péril rouge » des années 70. On peut presque dire que cette religion est le nouveau champ de ralliement pour certains laissés pour compte du système ultralibéral hégémonique depuis la mort idéologique et politique du communisme. En Afrique le processus idéologique remonte aux sécheresses des années 1970, lorsque les pays producteurs de pétrole du Golfe ont supplanté les bailleurs  occidentaux, eux-mêmes, alors frappés par la crise financière. C’est en ce moment que leurs idéologies en même temps que leurs pétrodollars ont pénétré le cœur du continent notamment les pays du Sahel. La situation s’est ensuite aggravée avec les politiques d’ajustement structurel qui ont affaibli les systèmes éducatifs et accentué la marginalisation de franges entières paupérisées. Ces dernières ont, ensuite, été la cible des « marchands d’illusion » qui ont réussi à embrigader nos jeunes. Et je crois que la communauté internationale a aujourd’hui accusé un retard d’au moins quarante ans par rapport aux réseaux qu’elle cherche à éradiquer avec les nombreuses stratégies Sahel auxquelles il manque une certaine cohérence et surtout une vraie coordination. On a même l’impression que la lutte contre le terrorisme telle que conçue actuellement s’attaque plus aux symptômes qu’au vrai mal et à ses racines. La militarisation à outrance du continent est en elle-même source de radicalisation. Les mouvements terroristes ont cessé les stratégies à portée globales. Leur nouveau mode opératoire passe par la récupération de certains conflits locaux auxquels ils s’efforcent de donner une coloration « islamique » pour mieux attirer l’Occident dans le piège de l’interventionnisme. Une fois sur le terrain les bavures comme les erreurs sont réutilisées pour radicaliser les populations frustrées et les opposer aux Etats et à la communauté internationale.

Y a-t-il un fondement historique à un rôle  du Maroc dans la promotion de l’islam modéré et la lutte contre l’extrémisme violent ?

Le mode d’islamisation de l’Afrique subsaharienne en dit long sur le caractère pacifique de l’islam qui y était jusqu’ici pratiqué. L’islam y a toujours été un facteur de stabilité et de cohésion sociale en ayant eu la capacité d’absorber les pratiques socioculturelles avec une forme de synthèse et de symbiose entre valeurs culturelles et principes religieux. Je disais souvent que l’islam au Sud du Sahara ne s’est pas imposé mais s’est plutôt substitué.  Depuis la Sâqiyat Al-Hamrâ, le Sud marocain et, ensuite par la poursuite des relations d’échanges pendant l’époque des mérinides de Fès jusqu’aux Saadiens avec le Sultan Al—Mansour Al-Dhahabî, ce processus historique est parti de l’action des Almoravides. Il y a eu certes quelques péripéties liées à des conflits mais la conquête des cœurs a toujours prévalu sur la soumission des corps d’où le caractère durable de ce brassage entre les deux rives du Sahara et dans lequel le Maroc a eu un rôle historique majeur. Par la suite, la confrérie Tijâniyya a été pendant longtemps le ciment religieux et culturel entre les peuples subsahariens et le Maroc. J’ai longuement évoqué ce rôle dans mon ouvrage la politique africaine du Maroc. Par ce modèle les chefs religieux soufis ont perpétué un islam de paix qui est malheureusement la cible du wahhabisme et du salafisme conquérant.

Justement à l’heure où on évoque beaucoup la question de la prévention de l’extrémisme violent le Maroc devrait jouer un rôle dans lequel la communauté internationale devrait l’appuyer et conforter

Les confréries ont d’abord été des cibles idéologiques puisqu’au Sénégal ; par exemple. La naissance de l’islam radical sous sa forme salafiste s’est faite sous la bannière de la contestation de ces confréries et du soufisme de manière générale. On peut les considérer comme une sorte de rempart contre le basculement vers l’extrémisme violent. Mais qui peut croire que ce rempart peut être éternel ? Nous avons aujourd’hui une jeunesse de plus en plus exigeante dans sa quête de sens et de spiritualité sous influence d’Internet te de la mondialisation du croire.

Sur ce point précis, Le Maroc pourrait faire bénéficier ses pairs africains de son expérience dans le renforcement d’un islam de paix comme il le fait, déjà, pour la formation des Imams. La manière dont les oulémas marocains ont pu régler la question de l’évolution de la société avec le principe de la Murâja’apourrait inspirer les oulémas africains. Les confréries ont, aujourd’hui, intérêt à renouveler la pédagogie du soufisme qui est un message porteur de paix. Le Maroc a l’atout considérable de partager, avec la plupart des pays du Sahel, le Fiqh malikite, le dogme ash’arite (Al-aqîdah al-ash’arîyya) garant des rapports paisibles et durables entre religion et espace politique, mais aussi le soufisme sunnite (Al-Taçawwuf al-Sunnî). Il y a donc un socle naturel pour construire un partenariat et consolider une alliance que l’histoire n’a jamais démentie. C’est en ce sens que la récente création de la Rabita Mouhammadia des Oulémas répond à un impératif de coopération sur un domaine aussi stratégique que la prévention de l’extrémisme violent. Je peux dire qu’une telle coopération devrait constituer un axe majeur d’un nouveau partenariat stratégique entre le Maroc et ses partenaires africains. Cependant cette Rabita a besoin de plus de consistance sur le terrain car jusqu’ici son approche reste très institutionnelle et ses actions n’atteignent pas vraiment les vraies cibles. Il manque encore à la Rabita un ancrage social loin des sphères diplomatiques et institutionnelles.