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Dualité des systèmes éducatifs et enjeux de la radicalisation au Sahel (Observatoire des Radicalismes)

De nombreux pays du Sahel souffrent toujours d’une dualité voire d’un éclatement du système éducatif avec l’école « officielle » francophone et la multiplication d’écoles « arabes » ou « coraniques». Cela représente, dans un futur proche, une menace pour ce qui est de la cohésion nationale dans le processus de la construction de l’Etat et de la citoyenneté. Le phénomène Boko Haram qui est, avant tout, un problème éducatif, en est une illustration pour le cas du Nigeria, Etat déstructuré par un conflit qui déborde aujourd’hui de ses frontières.

Les Etats sahéliens ne semblent pas encore saisir les enjeux d’une telle dynamique et n’ont jamais intégré cette dimension du choc des modèles religieux par le biais de l’éducation dans le cadre global d’une politique de sécurité. De temps à autre, ce sont les partenaires internationaux qui tirent la sonnette d’alarme ou des experts peu écoutés par les décideurs politiques subissant le diktat des logiques électoralistes.

Ils sont, pourtant, aujourd’hui, nombreux qui attirent l’attention sur le danger d’un système éducatif dual avec un enseignement institutionnel géré par l’Etat et un autre parallèle qui lui échappe et qui s’ouvre aux influences étrangères les plus diverses sans parler des églises évangélistes développant de manière prosélyte des secteurs parallèles à l’action étatique.

Ce fait est non seulement source de troubles à moyen terme mais d’une fracture sociale (heurts interconfessionnels) donnant lieu à des Etats-Nations sans ciment national.

Dans les prochaines années, il est à craindre que le choc des extrêmes (Islamisme radical et christianisme évangélique) devienne source de tensions ethnico-religieuses notamment en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Cameroun et dans une moindre mesure au Bénin.

Ces réseaux de solidarité confessionnelle se substituant aux Etats dans le travail social ne sont pas toujours sans lien avec des phénomènes mafieux allant du blanchiment d’argent au narcotrafic.

La communauté internationale devrait intégrer cet aspect dans le renforcement de la stabilité et l’accompagnement des Etats africains en agissant, de manière collaborative, sur les orientations éducatives, les programmes favorisant une plus grande inclusion des laissés pour compte pour éviter un plus grand émiettement des structures sociales.

Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes ou violentes, la question éducative mérite un interventionnisme concerté en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre toutes les formes de radicalismes religieux dans les décennies à venir. Mais les problèmes liés à l’éducation religieuse et à la protection des enfants contre la traite des personnes restent des « patates chaudes » que les régimes successifs lèguent les uns aux autres alors que la situation actuelle dans les pays du Sahel présente des risques évidents.

La lutte contre le terrorisme, en amont, par une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités des médiateurs sociaux, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatifs au tout-religieux et aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtrait plus efficace que les formes de guerres asymétriques qui, généralement, surviennent bien après que les groupes terroristes se redéployent dans de nouvelles zones de non-droit pour menacer à nouveau des Etats fragilisés.

Analyse de Bakary Sambe (Timbuktu Institute)