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Le politologue sénégalais Bakary Sambe analyse l’influence religieuse du royaume sur le continent et l’offensive des pays qui tentent de la concurrencer.

Auteur de Islam et diplomatie, la politique africaine du Maroc, le politologue sénégalais Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute-African center for peace studies, analyse l’influence religieuse du royaume sur le continent et l’offensive des pays qui tentent de la concurrencer..

Le Maroc veut créer une sainte alliance autour de l’islam malikite pour contrer l’essor du wahhabisme dans les pays africains, en s’appuyant sur les confréries religieuses. Est-ce une arme efficace face aux moyens financiers saoudiens ?

En Afrique subsaharienne, le Maroc dispose depuis plus de mille ans de ressources symboliques qui font défaut à ses rivaux maghrébins et du Golfe. Il y entretient des relations d’ordre spirituel qui le lient à l’Afrique via les confréries soufies, notamment la Tijaniya. Le wahhabisme est une greffe idéologique qui a pris avec les pétrodollars mais qui n’arrive pas à effacer ce passé commun, renforcé par le partage du dogme achâarite et du soufisme.

Les confréries ont, selon vous, un discours parfois archaïque, alors que le discours salafiste est beaucoup plus rationnel. Quel est l’impact sur les objectifs religieux du Maroc ?

Les confréries ont toujours été, jusqu’ici, un rempart contre le salafisme jihadiste. Mais il leur faut beaucoup d’efforts pour capter les jeunes attirés par le salafisme, avec son discours usant de la modernité technologique pour mieux combattre la modernité sociale et politique. Le salafisme est simple comme tous les discours idéologiques, et de plus en plus digital. Les confréries doivent didactiser leur message de paix et le rendre plus accessible aux jeunes aux réalités du moment.

L’Algérie peut-t-elle rattraper son retard en Afrique en matière d’influence religieuse ?

Le Maroc a clairement un avantage comparatif : il a très tôt cultivé la fibre religieuse alors que la génération du FLN algérien avait relégué le soufisme au dernier plan, en l’ayant même combattu. Il a fallu attendre 1984 pour que l’Algérie renoue avec la Tijaniya comme vecteur diplomatique. La riposte marocaine en 1985 lors du colloque de Fès a été déterminante pour la suite : les chefs religieux soufis venus de toute l’Afrique ont signé un mémorandum de soutien du royaume pour le Sahara marocain.

L’influence religieuse du Maroc dans les pays d’Afrique de l’Ouest a un nouveau challenger : la Turquie. Un adversaire à craindre à l’avenir ?

La Turquie a multiplié par cinq le nombre de ses représentations en Afrique depuis 2008. Ce pays a aussi un modèle à vendre : un islam modéré et un capitalisme de type musulman aux dehors modernistes. A côté de l’offensive diplomatique officielle d’Ankara, le mouvement de l’intellectuel musulman turc, Fethullah Gülen, impose sa présence par la généralisation du modèle d’enseignement turc dans des écoles élitistes à travers l’Afrique, où sont accueillis les enfants des plus hautes autorités politiques et militaires. Ce qui représente un levier d’influence important pour l’avenir. Lors d’une de ses récentes visites au Sénégal, Erdogan a inauguré le “jardin turc” dans la cour de laGrande mosquée de Dakar, inaugurée en 1964 par Hassan II et dessinée par son architecte personnel Gustave Collet. On y a vu le symbole puissant que les turcs sont désormais bien entrés dans le patio marocain.