Bakary Sambe sur l’alerte américaine : « La coordination dans la gestion de l’information fait aussi partie de la coopération

Auteur, entre autres, du premier rapport en 2013, intitulé « Grand Angle sur le radicalisme religieux et la menace terroriste au Sénégal » avec l’Institut d’étude de sécurité (ISS), Dr. Bakary Sambe est professeur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il est aussi le Directeur du Timbuktu Institute-African Center for PeaceStudies de Dakar où il coordonne l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. Spécialiste des rapports entre politique et religion en Afrique, il travaille aussi sur le militantisme islamique et les réseaux transnationaux auxquels il a consacré plusieurs publications et ouvrages. Il analyse pour notre rédaction la situation qui prévaut au Sénégal depuis l’alerte de l’Ambassade des Etats Unis en appelant à la sérénité et à ne pas céder à la psychose. Tout en revenant sur l’(absence du Sénégal du G5 Sahel, la nécessité d’une coordination dans la gestion de l’information entre le Sénégal et ses partenaires stratégiques, il propose de privilégier une approche inclusive et sereine de la menace, l’anticipation, la prévention et le développement de stratégies à long terme telles que l’éducation et la justice sociale.

 

Une psychose renait depuis la publication d’un communiqué par l’ambassade des États-Unis à Dakar conseillant à ses ressortissants au pays de la Teranga d’éviter de fréquenter les hotels en bordure de mer et les plages. Comment avez-vous acceuilli cette mise en garde américaine  ?

Il faut appeler à la sérénité nécessaire à la gestion de la menace. Je suis presque persuadé que les services de sécurité sénégalais étaient aussi informés que l’Ambassade américaine mais n’avait pas les mêmes responsabilités. L’Ambassade des USA est préoccupée par la protection de ses ressortissants et nos forces de sécurité et de défense étaient devant une double responsabilité de gérer et de juguler la menace mais aussi de prémunir le pays d’une psychose qui pouvait être nuisible à notre économie surtout au tourisme et aux investissements notamment en ces moments de haute saison. Mais, franchement, au regard du niveau de coopération sécuritaire entre nos deux pays, une meilleure coordination dans la communication autour des risques et menaces serait appréciable comme essaient de le faire certains partenaires stratégiques, tels que la France, qui n’ont pas eu la même attitude.

Pensez-vous que la menace terroriste est réelle au Sénégal c’est-à-dire qu’il pourrait avoir une attaque imminente  ?

Cela fait des années, alors contesté par tous ceux qui, aujourd’hui, reprennent nos arguments qu’ils ont tant subjectivement réfutés, que je martèle qu’aucun pays au monde ne peut se prévaloir d’un statut d’exception. Le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans un océan d’instabilité ; ce qui en a fait une place attractive pour aussi bien ceux qui cherchent la stabilité que ceux veulent la remettre en cause. Cette spécificité qui fait notre force nous expose en même temps à une certaine vulnérabilité. La prise de la citadelle devient un défi pour ceux qui nous reprochent notre système démocratique, notre cohésion sociale sur fond d’un islam confrérique pacifique dont les symboles ont été attaqués à travers les mausolées de Tombouctou. Les attentats de Ouagadougou en 2016 ont signé la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest de la même manière que Grand Bassam a inauguré l’ère de l’absurdité même de la prévision. Malgré la forte résilience et les performances de la communauté du renseignement appuyée par la coopération avec d’autres pays, les signaux d’une exposition aux risques sont là depuis quelques années.

Face à cela, quel devrait, selon vous, etre latitude de nos autorités mais également de nos forces de défenses et de sécurité  ?

Nous sommes à l’ère de la vulnérabilité généralisée qui impose un changement des paradigmes et des mentalités. Aucun pays au monde même parmi les plus puissants, n’a été préparée à la guerre asymétrique sans front délimité, ni ennemi identifié, souvent diffus et parfois déjà à l’intérieur des frontières. C’est dans ce sens qu’il faut savoir que notre pays n’est pas le plus mal loti en termes de dispositifs sécuritaires : des services de renseignement qui peuvent encore profiter du fait que nous ayons encore des communautés – contrairement à d’autres pays développés- , une politique d’anticipation à renforcer avec la création d’instituts de recherche tels que le CHEDS dirigé par le général Paul Ndiaye et l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique depuis 2012, des dispositifs inclusifs comme l’ancienne CLAT et le CICO. La pire attitude serait l’entretien inutile d’une psychose contreproductive pour la sécurité et l’économie : il faut éduquer les populations à plus de coopération avec les services de sécurité et travailler sur les résiliences. Certains pays ont connu une moyenne de 5 à 10 attentats par année tout en restant l’une des premières destinations du monde ou des places financières centrales. La Côte d’Ivoire n’a pas beaucoup souffert des attaques de Grand Bassam sur le plan économique car un important travail avait été fait sur la résilience et l’éducation des populations conformément à la nouvelle réalité selon laquelle il faut malheureusement apprendre à vivre avec la menace tout en prenant les mesures idoines.


N’y a t-il pas une faille sur le plan de la communication ?

A la différence des pays comme le Mali qui a déjà subi des attaques ou le Niger et le Tchad sous forte pression sécuritaire, le Sénégal, comme il y a peu le Burkina, se situe encore dans la typologie de ceux qui peuvent encore adopter une approche prospective et préventive face à la menace. De ce fait, loin d’une volonté de non communication ou de déni comme lors de notre première étude avec l’Institut d’étude de Sécurité (ISS) en 2013, le Sénégal serait dans une logique de consolidation sereine des acquis et d’expérimentation de divers dispositifs. On a vu que les informations révélées après coup ça-et-là sur les différentes menaces précédentes ont eu pour effet immédiat de relativiser l’alerte américaine au point de montrer que ce n’était ni la première ni la plus sérieuse. Mais il faudra, à coup sûr, un vrai travail d’accompagnement et d’encadrement médiatique afin d’éviter la dispersion des efforts et des situationsde panique ingérables au moment où il faut, certes, se concentrer sur les urgences sécuritaires mais aussi, à long terme, travailler davantage sur la prévention par l’éducation et la justice sociale. La coordination des efforts des différents services du Ministère de l’Intérieur comme de la défense serait d’une grande utilité dans ces circonstances où aucune faille ne doit être tolérée.

 le Sénégal est absent du G5 Sahel.  Une telle attitude est-elle  réaliste par rapport à notre engagement au Mali ? Est ce qu’il serait cohérent que nous renforcions notre présence au Mali alors que les dirigeants du G5 nous snobent ?

Le renforcement de l’axe classique de notre doctrine de « diplomatie de bon voisinage » pourrait être utile dans ce contexte particulier tel que semble le comprendre le nouveau ministre des affaires étrangères. Mais, la question du G5 Sahel reste difficile. Lorsqu’on s’adresse aux acteurs pertinents du G5 Sahel, il arrive qu’ils déplorent l’absence du Sénégal au moment où ceux de la partie sénégalaise semblent ne pas saisir les véritables raisons de leur propre absence. Il est sûr qu’au regard des défis sécuritaires régionaux,le politique devra tôt ou tard entériner ce que la géographie et l’histoire ont imposé comme un destin commun de pays ayant la vulnérabilité et la porosité des frontières en partage. La dernière étude du Timbuktu Institute dans la zone frontalière de Rosso, le montre sur plusieurs aspects. L’absence remarquée du Sénégal de la réunion des « pays du champ » et du processus de Nouakchott n’est pas bien comprise de certains de nos voisins. Afin d’éviter le mauvais départ lors de la crise malienne qui du reste a été bien rattrapé, par la suite, avec une présence de plus importante notamment dans le Centre et au moment où on parle d’une force conjointe, une coopération sincère et renforcée entre la Mauritanie et le Sénégal demeure une nécessité stratégique qui impose le sursaut et le dépassement.

Source : Le Témoin du 27/10/2017