Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont désormais réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES). Les trois régimes issus de putschs militaires entendent fonder une architecture de défense commune en cas d'agression de l'une des parties prenantes. Certains contours demeurent flous mais sa naissance constitue un changement géopolitique dans la sous-région.

 « Par la présente charte, dénommée charte du Liptako-Gourma, les parties contractantes instituent entre elles, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) […] Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties. » Par ces mots, prononcés samedi 16 septembre à Bamako, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a entériné un projet en gestation depuis plusieurs semaines. Les régimes militaires maliens, burkinabé et nigériens ont finalement créé l’Alliance des États du Sahel (AES). 

L’entité vise à organiser un système de défense collective et d’assistance mutuelle. Elle sonne comme une réponse directe à la menace d’une intervention militaire brandie par la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger, après le putsch du 26 juillet.

Les jours suivants, Bamako et Ouagadougou avaient rapidement donné le ton. Toute tentative de rétablir manu militari le président nigérien déchu, Mohamed Bazoum, « s’assimilerait à une déclaration de guerre » à leur encontre et entraînerait leur retrait de la Cédéao. Désormais, les parties prenantes à l’AES se réservent le droit de l’emploi « de la force armée » si elles le jugent nécessaire. 

« Nous sommes sérieux »

Les militaires formalisent ainsi leur position de principe. « Cela revient à dire : "Nous sommes sérieux, ce n’était pas du bavardage" », commente le journaliste et expert du Sahel, Serge Daniel. « Ces trois pays sont dans le processus de donner une base légale de défense mutuelle », abonde Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, basé à Dakar, Bamako et Niamey. 

La Charte de Liptako-Gourma, référence à la zone dite des "trois frontières", où se concentre la menace djihadiste, dénombre 17 articles. Ceux-ci couvrent différents champs d’application. Sur le papier, l’article 4 comporte des accords de lutte contre le terrorisme. Mais ses modalités de fonctionnement restent à définir. « Demain, en principe, si ces pays en ont les moyens, le Mali peut se retrouver au Burkina Faso et le Burkina Faso dans un autre pays pour lutter contre le terrorisme », précise Serge Daniel.

Fait nouveau, il en va à présent de même en cas de rébellion selon les termes de l’article 6. Théoriquement, les soldats nigériens et burkinabé peuvent désormais suppléer les forces maliennes face aux groupes armés à dominante touarègue dans le nord du pays. Cet article 6 fait figure de socle. « Il n’est autre que l’équivalent de l’article 5 de l’OTAN (ndlr : Organisation du traité de l'Atlantique nord) », compare Bakary Sambé. L'article 5 de l'OTAN stipule qu'attaquer un membre revient à agresser l'ensemble de l'Alliance.

« C’est le début d’un G3 Sahel »

Ce chamboulement du paysage géostratégique ouvre une nouvelle ère incertaine et imprévisible dans la sous-région. « C’est une configuration inédite et un changement géopolitique majeur avec ce pacte « kaki » contre les autres membres de la Cédéao, analyse l’enseignant-chercheur. Ces trois pays perçoivent désormais le principe de sécurité collective de la Cédéao comme une menace stratégique contre eux. Cela constitue une régression marquante qui rend encore beaucoup plus complexe l’environnement sécuritaire. »

Le fait que trois pays sahéliens ayant exigé le départ des troupes françaises se coalisent revêt une symbolique forte. « Il s’agit d’une régionalisation du désaveu de la France », résume Bakary Sambe. L’AES signe, en outre, la mort du G5 Sahel dont s'est retirée Bamako en mai 2022. « Le Mali, le Niger et le Burkina Faso étaient les pivots du G5 Sahel. C’est le début d’un G3 Sahel », présage le chercheur. « Il y avait au départ cinq pays réunis pour lutter contre le terrorisme. Le G5 devient le G3. Ce n’est pas une fédération mais une alliance de défense », corrobore Serge Daniel.

e positionnement de la communauté internationale déterminera la valeur et la légitimité de cette alliance, dont les signataires appartiennent à des gouvernements de transition (au Mali et au Burkina Faso) ou qui pourrait le devenir (au Niger).

Le cas nigérien demeure le plus indécis. Paris reste intransigeante vis-à-vis des militaires à Niamey et soutient fermement la Cédéao. Mais avec l’envoi d’une nouvelle ambassadrice et la reprise de ses opérations de surveillance, Washington semble moins inflexible. La Chine a d’ores et déjà dépêché une délégation pour rencontrer les militaires au pouvoir à Niamey. Moscou plaide pour une résolution par la voie diplomatique. « Est-ce que la communauté internationale va continuer à jouer la solidarité avec la Cédéao et l’Union africaine ?, s’interroge M. Sambe. La question porte maintenant sur la légalité et la légitimité des régimes de transition et pas encore en transition. Il va falloir rester prudent puisque nous sommes entrés dans l’ère de la diplomatie du tacite. »

 Source : TV5 MONDE

 

Timbuktu Institute 30/08/23

La chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute - African center for Peace Studies est consacrée, cette semaine, au thème : « Europe-Afrique : Les mutations incomprises » dans le contexte du récent discours du Président français, Emmanuel Macron, lors de la Conférence annuelle des Ambassadeurs et Ambassadrices. Dans cette dernière sortie largement commentée sur le continent, Macron insistait sur la nécessité de résoudre la crise actuelle au Niger s’il le faut par la solution militaire et le maintien de l’Ambassadeur de France à Niamey malgré certaines critiques sur les « incohérences des positions » prises par Paris sur les différents coups d’États qu’a connus récemment la région. En toile de fond, il y a le débat sur une « réelle compréhension des enjeux » de la part des partenaires internationaux dans la région dans un contexte où la jeunesse développe un discours de plus en plus contestataire et souverainiste. Dr. Bakary Sambe revient sur ces différents aspects en répondant aux questions de Sana Yassari, Medi1TV- Afrique

Dr. Bakary Sambe, lors de vos différentes interventions depuis les différentes crises au Mali, au Burkina Faso et, récemment, au Niger, vous avancez l'idée selon laquelle, certains partenaires européens n'ont pas pris la mesure des évolutions en cours sur le continent et cela au détriment de leur image et de la perception que la jeunesse africaine développe au sujet des relations entre l'Europe, plus particulièrement, la France et l'Afrique. Pourquoi un tel malentendu persistant à votre avis ?

A mon sens, l’Europe qui s’est toujours appuyée sur la France lorsqu’il s’agit du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest n’a pas pu intégrer ce que Kenneth Waltz appelle la distribution des capacités en tant qu’élément ordonnateur des relations internationales. Alors que les capacités en termes de puissance militaire, politique et économique ne sont plus concentrées dans un groupe mais répartis entre un grand nombre d’États. D’une part, il en découle un désir de souveraineté qui apparaît, de plus en plus, comme un principe ordonnateur des relations internationales actuelles. Et l’Afrique n’est point épargnée par une telle vague lisible même dans l’engouement grandissant pour les BRICS, par exemple.
D’autre part, il y a un espace public virtuel globalisé où circulent des idées qui transcendent les frontières politiques et les clôtures matérielles des États. Les jeunesses africaines sont imprégnées, elles aussi, de ces idées et leurs actions comme leurs mobilisations contribuent à façonner l’opinion publique en y introduisant ce désir de souveraineté qui n’épargne, aujourd’hui, aucune région du monde.

Justement le dernier discours du Président français, Emmanuel Macron, semble soulever certaines interrogations sur le degré d'un tel malentendu et l'impression selon laquelle, la France ou en tout cas l'élite politique n'a pas encore intégré le nouvel état d'esprit de la jeunesse africaine. Comment analysez-vous un tel fait ?

Le Président Emmanuel Macron semble avoir entendu les voix de la jeunesse africaine sans vraiment les écouter. On est tenté, de plus en plus de croire en un fil conducteur qui a été assez cohérent dans la fabrique conceptuelle de l’Afrique dans l’inconscient politique français au-delà des générations et des courants politiques de Gauche comme de droite et peut-être même jusqu’à présent où le landerneau politique français devient de plus en plus illisible à l’époque du macronisme. Je serais même tenté de dire, de Hugo à Sarkozy avec le discours de Dakar qui en fait, était plus un discours parisien. Je crois donc qu’au-delà du changement du discours, il faut un changement de la conception de l’Afrique. C’est plutôt, donc, un problème ontologique qu’un malentendu discursif. Sur ce, je pense que le simple shift paradigmatique de ne plus considérer l’Afrique comme une propriété mais comme une terre à conquérir et un marché de soft power à séduire, serait un excellent nouveau départ. Mais, parfois, nous avons, en Afrique francophone, l’impression qu’il est difficile de suggérer à nos amis français la rupture d’avec les Lumières. Pourtant même si elles ont éclairé, pendant un moment le monde au-delà de la France, elles ont ensuite ébloui cette dernière, surtout dans sa vision du continent noir qui hélas a du mal à évoluer.

Mais, Bakary Sambe, finalement y a-t-il un moyen de dépasser cette situation qui risque d'avoir des retombées peu souhaitables sur l'avenir des relations entre l'Afrique et l'Europe de manière générale ?

Vous savez, en plus du choc entre un imaginaire ancré en France et des perceptions juvéniles hostiles qui se consolident en Afrique, s’est invité, de manière inattendue, le jeu des nouveaux acteurs qui a surpris la France mais a permis aux Africains de découvrir le champ immense du possible avec ou sans la France. Et sans avoir seulement le beau rôle, ces nouveaux acteurs qui n’ont à faire face ni à l’éblouissement des Lumières encore moins qu’ils souffrent du poids de l’histoire, ont pu avoir un regard vierge qui les a amenés à voir en soi l’Afrique non pas comme un champ de défis mais un champ d’opportunités (Africa is not a challenge, but an opportunity). L’Europe dans son aide comme dans sa politique envers l’Afrique devrait intégrer le fait que les Africains font désormais la différence entre une générosité qui s’est exprimée sur le champ de l’abstrait, des valeurs et des idées, parfois préconçues, contre une générosité qui s’est exprimée sur le champ du concret et de la valorisation des stratégies endogènes. Le fait est que ni l’Europe encore moins la France ne doivent avoir peur d’une Afrique prospère et souveraine. C’est elles qui en tirerait, même, le plus grand profit.

The Niger crisis has dominated African news since the coup d'état on July 26. But it is revealing by the day that a tough positioning battle is underway in the Sahel. Beyond the divergent positions within ECOWAS itself and in Africa, and despite the appearance of a certain alignment in the discourse of principle, the foreign powers are in a struggle for influence which, at the end of this crisis, will redraw the contours of a new balance of power in the region. As part of the Timbuktu Institute's weekly column in partnership with Medi1Tv, Dr. Bakary Sambe looks back at what he sees as a new Sahelian "grand game", analyzing what is at stake for the region as a result.

Dr. Bakary Sambe, despite the burning news focused on the current crisis in Niger, you maintain that at the same time a new "great game" is taking shape in the Sahel. What do you think it is?

The United States seems to have taken a firm stance on principle in the current crisis in Niger, and is very cautious about the military option, which seems to have the backing of France, for example. But, given its approach, it seems that Washington would like to avoid its image being forever impacted by an association with France in this crucial phase of the crisis. Another important element in the American preference for the diplomatic approach over the military solution is that it does not put it as the first option. If we look closely, for the United States it's a question of absolutely avoiding being associated with a power increasingly rejected by the West African street and a certain pan-Africanist and sovereignist elite, because of its colonial past and its background of interventionist and "gunboat" diplomacy. However, the USA enjoys a certain "virginity" in the region, which benefits its image and its proactive soft power in West Africa. Moreover, even a successful military intervention - which is still hypothetical - would deal a huge blow to this more or less positive image, which enables the USA to serve as an "alternative" partner to France, with whom it is, after all, in competition in French-speaking Africa, despite appearances and nuances.

Before this crisis, there was already this bitter struggle for influence between Western countries and Russia, which, and I quote you, "is looking for a better foothold in the Sahel despite its geographical distance". Will this struggle for influence take a new turn with the current crisis?

Niger is in an extremely strategic position that the United States will never abandon. Washington is well aware that its departure from the bases set up in this country would mean a stronger Russian foothold in the central Sahel. And it is not certain that France will not suffer the same fate as Mali. Hence the visible caution regarding military intervention, which would have an impact on the acceptance of the presence of its forces and its intelligence and operational facilities in Niger (worth $100 million, with a cumulative investment of $500 million), which, thanks to their low profile, are still the object of benevolent acceptance on the part of the Nigerien street, despite the timid recent demonstrations in Agadez. As we have seen, since the start of the crisis, Russia has maneuvered well to subtly express its disagreement with the military intervention, while strategically taking care not to alienate ECOWAS, an important partner in a region where it is already well established in Mali and even Burkina Faso.

But in reality, Dr Bakary Sambe, is the so-called Western bloc, represented by the countries that are members of NATO, still as compact as you might think? In other words, how will this crisis, with its uncertain outcome, reconfigure the balance of power in the region?

In the context of this crisis, not all players are in the same boat. First and foremost, there's the situation of Europe, which seems to be searching for its place in the Sahel, since the progressive weakening of its French “champion” in the region. It has to be said that Germany is not without interest in a new leadership role in the region after so many years of aligning itself with the major European orientations under the aegis of France. Since the beginning of the crisis, the German press has placed a great deal of emphasis on anti-French sentiment in the Sahel Region. For Americans, considered in Latin America, Asia, the Middle East and even in some parts of Europe as the hegemonic power par excellence, the USA still retains in Africa the image of a power with no colonial antecedents like the European powers, but with a certain sympathetic capital cultivated by proactive soft power. For Washington, this represents a comparative diplomatic advantage that it does not want to sacrifice at any cost on the altar of objectives secondary to its global strategy, particularly anti-terrorism, for which Niger remains a key element to be safeguarded, if necessary at all costs.

La crise nigérienne occupe l’actualité africaine depuis le coup d’État du 26 juillet dernier. Mais, elle révèle de jour en jour qu’une rude bataille de positionnement se poursuit au Sahel. Au-delà des positions divergentes au sein même de la CEDEAO et en Afrique et malgré les apparences d’un certain alignement dans le discours de principe, les puissances étrangères sont dans une lutte d’influence qui redessinerait à l’issue de cette crise, les contours d'un nouveau rapport de force dans la région. Dans le cadre de la chronique hebdomadaire du Timbuktu Institute en partenariat avec Medi1Tv, Dr. Bakary Sambe revient sur ce qu’il considère comme un nouveau « grand jeu » sahélien en analysant les enjeux de tels positionnements pour la région.

Dr. Bakary Sambe malgré l’actualité brûlante focalisée sur la crise actuelle au Niger, vous soutenez qu’en même temps se dessine un nouveau « grand jeu » au Sahel. A quoi consiste-t-il à votre avis ?

Apparemment ferme sur les positions de principe dans la crise nigérienne actuelle, les États-Unis paraissent comme très prudents sur l’option militaire qui semble assez soutenue par la France, par exemple. Mais, vu sa démarche, on dirait que Washington voudrait éviter que son image soit impactée à jamais par une association avec celle de la de France dans cette phase cruciale de la crise. Autre élément important de la préférence américaine pour l’approche diplomatique par rapport à la solution militaire qu’il ne met pas en première option. A y regarder de près, pour les États-Unis, il s’agit d’éviter absolument d’être associés à une puissance de pus en plus rejetée par la rue ouest africaine et une certaine élite panafricaniste et souverainiste, en raison de son passé colonial et de son background de diplomatie interventionniste et de la ´canonnière’. Or les USA bénéficient, relativement, dans la région d’une certaine « virginité » qui profite avantageusement à son image et son soft power proactif en Afrique de l’Ouest. Et puis, une intervention militaire, même réussie - ce qui est encore hypothétique - porterait un énorme coup de canif à cette image plus ou moins positive, qui permet aux USA de pouvoir servir de partenaire ´alternatif’ à la France avec laquelle elle est, tout de même, en concurrence en Afrique francophone malgré les apparences et les nuances.

Avant cette crise il y avait déjà cette âpre lutte d’influence entre les pays occidentaux et la Russie qui je vous cite “chercherait un meilleur ancrage au Sahel malgré l’éloignement géographique ». Cette lutte d’influence va-t-elle prendre une nouvelle tournure avec la crise actuelle ? 

Le Niger est dans une position extrêmement stratégique que les États-Unis n'abandonneront jamais. Washington est conscient du fait que son départ des bases installées dans ce pays signifierait, un meilleur ancrage russe dans le Sahel central. Et il n’est pas  sûr qu’à la France ne soit réservée le même sort qu’au Mali. D’où cette prudence visible quant à une intervention militaire qui impacterait l’acceptation de la présence de ses forces et de ses installations de renseignement et d’opération au Niger, (d’une valeur de 100 millions de dollars et qui auraient reçu un investissement cumulé de 500 millions de dollars) qui, de par leur profil bas, font, encore, l’objet d’une acceptation bienveillante de la part de la rue nigérienne, malgré les timides manifestations récentes à Agadez. La Russie, elle, depuis le début de la crise, nous l’avons vu, a bien manœuvré pour à la fois exprimer subtilement son désaccord par rapport à l’intervention militaire tout en veillant, stratégiquement, à ne pas se mettre à dos la CEDEAO allié important dans une région où elle pousse ses pions avec déjà un bon ancrage au Mali voire au Burkina Faso.

Mais en réalité, Dr Bakary Sambe, ce qu’on appelle encore le bloc occidental matérialisé par ces pays qui se retrouvent au sein de l’OTAN est-il encore aussi compact qu’on croirait? Autrement dit, comment cette crise à l’issue incertaine va-t-elle reconfigurer les rapports de force dans la région?

Dans le contexte de cette crise, tous les acteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a, déjà, la situation de l’Europe qui semble se chercher, au Sahel, depuis l’affaiblissement progressif de son champion français dans la région. L’Allemagne, il faut le dire, n’affiche pas de désintérêt pour un nouveau rôle de leadership dans la région après tant d’années d’alignement sur les grandes orientations européennes sous l’égide de la France. Depuis le début de la crise, la presse allemande accorde beaucoup d’importance au sentiment anti-français dans la région.. Pour les Américains, considérés en Amérique latine en Asie, au Moyen Orient, même dans une certaine partie de l’Europe, comme la puissance hégémonique par excellence, les USA gardent encore en Afrique, l’image d’une puissance sans antécédents coloniaux comme les puissances européennes avec certain capital sympathie cultivé par un soft power proactif. Ce qui représente pour Washington, un avantage diplomatique comparatif qu’ils ne veulent à aucun prix sacrifier sur l’autel d’objectifs secondaires par rapport à leurs stratégie globale notamment anti-terroriste et pour laquelle le Niger demeure une pièce maîtresse à sauvegarder et, s’il le faut, à tout prix..

Dr Bakary Sambe, président fondateur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un think tank et centre d’études stratégiques basé à Dakar, Bamako et Niamey, estime qu’avec les sanctions et l’annonce de l’intervention militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), cette dernière veut redorer son blason.

Depuis le 26 juillet 2023, date du coup d’État intenté au Niger par les hommes du Général Abdourahamane Tchiani contre le Président Mohamed Bazoum, élu en mars 2021, tous les regards sont tournés vers Niamey.  Toute la communauté internationale a condamné ce coup d’État. La communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a même annoncé le déploiement de sa force militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel.

À la question de savoir si la Cedeao doit aller au bout de sa logique, Dr Bakary Sambe, président fondateur de Timbuktu Institute, un think tank et centre d’études stratégiques basé à Dakar, Bamako et Niamey, indique qu’on note une énorme rupture dans l’approche de l’organisation régionale qui combine de sévères sanctions diplomatiques à des menaces militaires. Pour lui, cela vise à donner une crédibilité opérationnelle à la mesure prise, l’année dernière, de mettre en place une force en attente chargée de la lutte contre le djihadisme et les coups d’État.

« Mais, pour que la Cedeao menace de la mise en œuvre de mesures coercitives, c’est que cette hypothèse me semble réellement envisagée. Et cela suppose que des consultations préalables aient eu lieu avec des membres du Conseil de sécurité (notamment France et États-Unis) »

Estime celui qui est aussi Professeur au Centre d’études des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

Sur ce, Dr Sambe affirme que si le scénario de l’intervention Cedeao-Union africaine (Ua)-puissances occidentales, sous mandat ou non du Conseil de Sécurité, se réalisait, « ce serait une rupture paradigmatique dans l’approche de la sécurité collective en Afrique de l’Ouest ».

Tournant dans la lutte contre le terrorisme 

La suite des évènements qui se déroulent au Niger sera aussi importante dans la lutte contre le terrorisme. Avec les soutiens affichés des putschistes du Mali, du Burkina Faso et même de la Guinée à la junte du Niger, Bakary Sambe indique que « cette fois-ci, on dirait qu’on va vers une alliance putschiste kaki -avec le Mali et le Burkina Faso- contre la Cedeao, un point de bascule dans l’histoire de l’organisation ».

Tout cela aura un impact dans la lutte contre le terrorisme au Sahel parce que le Niger occupe une place centrale dans la stratégie antiterroriste globale et les États-Unis en sont conscients, de même que la France.

« On note la volonté de l’Otan (France/États-Unis) de contrecarrer l’avancée russo-wagnérienne dans un pays, partenaire clé dans leur stratégie globale antiterroriste dans le Sahel. Nous sommes sur le cas de figure d’une nouvelle et inédite forme de conflictualité : une guerre interétatique entre une coalition tripartite d’États membres rebelles contre l’organisation sous-régionale qui cherche à redorer son blason »

Souligne le président fondateur de Timbuktu Institute.

La Cedeao, constate-t-il, avait même été relativement dépossédée de la question sécuritaire, au point de l’affaiblir, sans que les partenaires internationaux aient pu apporter toute l’aide nécessaire au G5 Sahel. Le Pr Bakary Sambe fait savoir que ce grand retour de la Cedeao s’effectue dans un moment décisif pour l’organisation, mais aussi pour la paix et la sécurité dans la région.

« La lutte contre le terrorisme souffrirait beaucoup d’un Niger tombé dans l’escarcelle d’un pouvoir kaki. Surtout que, pour l’heure, même après le départ des troupes françaises, jadis décriées, ni le Mali, encore moins le Burkina Faso, n’ont réussi à combattre le terrorisme »,

Affirme-t-il.

« La Russie pas sourde à l’appel de la rue nigérienne »

Il y a quelques jours, les nouveaux hommes forts de Niamey ont dénoncé les accords de coopération militaire avec la France. Même si Paris a ignoré cela et considéré que seules des autorités légitimes issues d’une élection peuvent les remettre en cause, la Russie pourrait profiter de ce sentiment anti-français.

« Il est clair que la Russie n’est pas sourde à l’appel de la rue nigérienne qui, par une simple colère contre la France, en appelle à Moscou sur le mode chiffon rouge et en protestation contre Paris »

Alerte le Professeur au Centre d’étude des religions de l’Ugb.

« La nature ayant peur du vide et les circonstances y aidant, si les militaires s’installent durablement à Niamey, Wagner pourrait saisir une autre chance de s’implanter sur le continent, après la Rca et le Mali, au cœur d’un Sahel aux énormes enjeux géostratégiques »

Prévient Dr Sambe.

Toutefois, il tempère en soutenant que Washington

« ne semble pas vouloir céder ce terrain nigérien en plein Sahel central à la prédation russe qui cherche à accroître son influence dans la région. Et les dernières déclarations de Matt Miller et de Blinken le prouvent à suffisance ».

Source : le Soleil 

 

Beaucoup d’organes de presse relaient depuis hier le rejet de la demande du Président Tinubu pour un déploiement de soldats nigérians au Niger voisin qui traverse une profonde crise politique et sécuritaire depuis le coup d’État renversant le président Mohamed Bazoum démocratiquement élu. Il est vrai que, d’après certains experts, conformément à la Constitution du Nigéria, le déploiement de forces armées pour des missions de combat à l'extérieur des frontières doit être approuvé par le Sénat. Toutefois, des possibilités de dérogation existent par exemple si le Président ne juge que la sécurité nationale est sous forte "menace ou danger imminent*


Selon le Sénat nigérian, l'impasse politique au Niger devrait être abordée politiquement plutôt que par une action militaire. Des acteurs importants de la Société Civile nigériane opposée à une telle intervention s’engouffrent déjà dans cette brèche et lancent ironiquement à Tinubu : « Envoyer des troupes au Niger équivaut à quitter la lèpre pour traiter les teignes »

A l’heure actuelle, on peut dire que le Sénat nigérian est largement contre une intervention militaire. Le fait est que même si Tinubu y dispose d’une majorité, il n’y a pas trop de discipline partisane dans le parlement nigérian qui pourrait être en sa faveur. Il faut savoir qu’au Nigeria, les sénateurs disposent d’une certaine légitimité et d’un ancrage local assez fort leur permettant de se libérer de la pression de l’exécutif.
Toutefois, le Président Tinubu, comme le gouvernement sénégalais, essaie de mettre l’intervention sous le parapluie des obligations communautaires expliquant qu’il s’agit d’une décision de la CEDEAO que le Nigeria doit mettre en œuvre en tant qu’éminent membre.

Mais, les logiques régionales qui se reflètent dans le Sénat vont aussi être déterminantes. La proximité ou même la continuité ethnique et culturelle entre le Nord Nigeria et le Niger a poussé, par exemple, le groupe des Sénateurs du Nord à mettre en garde contre une intervention

Cependant, mis à part tous ces paramètres, ce débat interne au Nigeria ne peut-il pas être une chance de donner encore plus de temps et de chance à la diplomatie et in fine à une solution négociée tant espérée par les acteurs de la société civile dans les différents pays de la région ? Les heures à venir seront cruciales.

 

Timbuktu Institute