Timbuktu Institute

Pour Bakary Sambe, Directeur régional du Timbuktu institute, cette demande de départ « sans délai » s’inscrit dans la logique de la communication des autorités de la transition depuis leur arrivée au pouvoir : « les autorités de la transition sont dans la même logique depuis leur arrivée au pouvoir. C’est un marqueur assez important de leur communication de toujours montrer qu’il y a des acteurs et des organisations qui seraient contre les intérêts du Mali. Après la France, pendant l’opération Barkhane, ce fut le tour de la CEDEAO. Je pense que l’axe majeur de cette communication est finalement de trouver, à chaque fois, des « ennemis du Mali ».

Selon cet observateur de la scène politique malienne depuis plus d’une vingtaine d’années, « Ce discours populiste fonctionne très bien au sein de la population en pleine crise économique et sécuritaire. Donc, après la France, la CEDEAO, ensuite les soldats ivoiriens c’est le tour de la Minusma. C’est un schéma binaire qui veut, toujours, qu’il y ait le Mali qu’on oppose aux autres.

Le contexte politique serait même pour beaucoup dans cette prise de position qui n’a pas surpris certains observateurs : « En plus, nous sommes actuellement dans une période cruciale où se discute la Constitution, les futures échéances électorales, le référendum du dimanche 18 juin. Les autorités avaient donc besoin d’aborder la question de façon incisive. Le but est de flatter la fierté malienne et de brandir le souverainisme », rappelle Bakary Sambe.

Une sstratégie de communication politique de la part de Bamako ?

Pour lui, « les autorités étant dans un contexte très avancé du processus de transition, il fallait donc affronter les vraies questions, telles que les réformes institutionnelles promises de longue date. C’est pour cela qu’il est très opportun de leur part d’agiter le chiffon rouge du départ de la Minusma, une mission devenue une cible facile. D’ailleurs, l’utilisation de « départ sans délai » a été bien choisie, pour envoyer un message à la population dont on veut fouetter l’orgueil, même s’il paraît quasi impossible de voir de tels effectifs quitter le pays aussi rapidement. »

Malgré l’unanimité de façade, sous l’effet des réseaux sociaux, le directeur régional du Timbuktu Institute explique même qu’il y aurait deux visions qui s’opposent au Mali sur la question de la coopération sécuritaire, « il y a toujours eu une nette différence de discours entre, d’un côté, Bamako, ses citadins jeunes, présents sur les réseaux sociaux, et de l’autre, les gens qui vivent l’insécurité au quotidien comme à Ménaka, à Gao ou encore à Tombouctou. La perception de la coopération est totalement différente, mais finalement, le discours le plus audible est celui des personnes qui sont le moins concernées par l’insécurité mais inondant les réseaux sociaux ».

Sambe pense qu’il y a « une confusion volontaire » voulant « masquer l’échec sur le plan sécuritaire ». Pour lui, « les récents événements de Moura ont été l’illustration de l’échec en termes de sécurité. On l’oublie très souvent, mais les deux missions prioritaires de la Minusma c’est l’appui à la mise en pratique de l’accord de paix et la réalisation de la transition, puis l’appui au rétablissement et la stabilisation dans le centre du pays. Ça n’était donc pas un mandat qui visait à combattre le terrorisme de façon classique, mais plutôt une consolidation de la paix. Faire le lien avec l’échec sur le plan sécuritaire est donc une belle subterfuge destinée à la consommation locale et populaire »

Pourquoi la fixation sur la MINUSMA ?

« En réalité, la Minusma est un symbole dans le discours. Le symbole d’un corps étranger, de l’acteur extérieur, qui ne laisse pas les coudées franches aux autorités de la transition, pour garantir la sécurité. C’est cette logique qui est présentée à la population. On a vu la même chose avec Barkhane malgré toutes ses tares », explique Dr. Bakary Sambe

Mais le chercheur ne cache pas son scepticisme sur la durabilité des missions de maintien de la paix si elles persistent dans leur forme actuelle : « Plus on avance dans la durée, plus les missions de consolidation de la paix perdent de leur crédibilité. Elles deviennent donc la cible idéale de critique en termes de non efficience. Il faut clairement revoir le format de ces missions. Dans la durée, elles ont, partout, montré leurs limites »

Il persiste, cependant, pour Bakary Sambe, le risque d’une détérioration des conditions sécuritaires au Mali et même dans la région : « Aujourd’hui, quand le Mali peine même à sécuriser les alentours de Bamako - comme l’a montré l’attaque de Kati, cœur stratégique du régime- et même si la Minusma avait un rôle mineur en la matière, ce départ exigé constituerait une menace réelle pour la région. Je ne suis pas sûr de la capacité de ceux qui demandent un tel départ à pouvoir sécuriser les vastes étendues du Mali, frontalières d’autres pays sous pression sécuritaire »

Après la MINUSMA, quid de Wagner ?

« Je ne crois pas que Wagner pourra jouer ce rôle de stabilisateur », avertit le chercheur. « On a vu leurs bavures et exactions contre les populations civiles. Le problème du Mali, surtout au Centre, est d’ordre communautaire. Ni les FAMAs, ni Wagner ne pourront le régler s’ils persistent dans la stratégie actuelle qui fait le jeu des groupes terroristes se présentant comme protecteurs des communautés ostracisées. La fameuse montée en puissance des FAMAs avec l'appui de Wagner s'est faite contre les communautés et a peu affecté la capacité de nuisance des groupes terroristes ».

Et Sambe d’insister sur la nécessité de changement de stratégie de la part de Bamako et de ses partenaires. Selon lui, « l’Etat  malien a besoin de dialoguer avec tous les enfants du Mali comme il en réclamait légitimement le droit, de cesser la stigmatisation de certaines communautés et amorcer la réconciliation. Mais on semble si loin du compte », conclut-il. 

Timbuktu Institute

NB : (certains extraits sont issus de l’interview avec TV5 Monde)

In the Timbuktu Institute's weekly column in partnership with Medi1Tv on the socio-political situation in Guinea-Bissau, Dr Bakary Sambe answers questions from Sana Yassari.

Dr. Bakary Sambe, Guinea-Bissau has just held legislative elections, which left all observers and the country's immediate neighbours in a state of anticipation. But in the end, the elections went well. Is this a surprise for a country that has experienced instability in the past?

Elections are generally fair, free and transparent in Guinea-Bissau, and have been since the opening up of democracy in 1994. It is true that post-election periods have always been marred by upheavals and a few incidents. The PAI Terra Ranka Alliance, made up of the PAIGC and 18 other opposition political parties, won an absolute majority in the legislative elections held on 4 June, with 54 seats in a 102-seat parliament. Under Guinea-Bissau's constitution, the PAI Terra Ranka Alliance must therefore, in principle, appoint a Prime Minister who will form a new government. As for President Cissoko Embalo, he has already acknowledged his defeat and promised to cohabit with any Prime Minister from the parliamentary opposition, which now has a majority.  The coming months will tell us how the executive will follow up these good political intentions.

But, Dr Sambe, after the election episode, the question remains of the durability of the PAI Terra Ranka Alliance, and above all its ability to overcome the many obstacles in its path, given the country's political inclinations. Given your knowledge of the context in Guinea Bissau, where the Timbuktu Institute is carrying out peace-building activities, do you think it will be easier this time?

It's true that the people of Guinea-Bissau are wondering how this alliance is going to govern, despite the many political and security challenges we know about. Political parties and civil society have already been warned that no one can lead Guinea-Bissau without including the PRS (Social Renewal Party) and perhaps, who knows? the military. So it remains to be seen whether Domingos Simoes Pereira of the PAIGC will succeed in overcoming the political and institutional crisis that Guinea-Bissau has been facing for a long time. In many respects, it seems to me, this is a very difficult gamble to win. One of the most obvious examples of what some observers consider to be a leadership crisis in which Amilcar Cabral's country is mired was recently in 2020, during the second round of the presidential elections, with all the ups and downs that occurred during this difficult stage in Guinea-Bissau's political life.

Bakary Sambe, you said in one of the local media that everything is urgent in this country. But what do you think are the biggest challenges facing the new alliance that will now govern alongside President Embalo?

Among the heavy tasks awaiting the new government, we must not lose sight of good neighbourly relations with the countries of the sub-region, in particular Senegal and Guinea-Conakry. Another no less important issue is sub-regional integration with ECOWAS. We know that the leader of the PAIGC, Simoes Pereira, and the leader of the Terra Ranka Alliance will have to make efforts to forge closer ties with the ECOWAS Commission. For the PAIGC, there will also be the challenge of reconciliation with Guinea Bissau's immediate neighbours, as well as with ECOWAS, which will be a key ally in the search for funding to implement projects to restructure and demobilise the army, for example, modernise the administration, and rehabilitate the education and health sectors.  In other words, there is no shortage of urgent matters to deal with, and many challenges lie ahead in the medium and long term.

Source : Timbuktu Institute

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Dans cette interview où il répond aux questions de Célian Macé journaliste à Libération, le spécialiste des questions religieuses au Sahel, Dr. Bakary Sambe analyse la violente crise que traverse le Sénégal depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko et les médiations traditionnelles à l’œuvre pour en sortir. Directeur du Timbuktu Institute , Dr. Bakary Sambe est professeur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il revient sur les caractéristiques de cette crise marquée par un «phénomène militant nouveau» et sur le rôle central des médiations religieuses traditionnelles dans les conflits politiques au Sénégal.

Assiste-t-on à un nouveau cycle dans l’histoire des crises politiques sénégalaises ? Ou bien cette confrontation est-elle inédite ?

Les crises politiques, parfois très dures, ont marqué l’histoire du Sénégal depuis l’indépendance : l’opposition Dia-Senghor de 1962, la révolte étudiante de 1968, la crise post-électorale de 1988, la manifestation sanglante du 16 février 1994, la grande contestation de 2011… La plupart de ces événements étaient liés à une échéance électorale. La crise que traverse le Sénégal actuellement est évidemment liée au scrutin présidentiel de l’année prochaine. Mais elle est caractérisée par une imbrication du politique et du judiciaire. Ce fut le cas pour Khalifa Sall et Karim Wade [deux opposants écartés de la course présidentielle après une condamnation, ndlr], mais cette fois il s’agit d’une affaire de mœurs. Dans une société très religieuse comme le Sénégal, cela a son importance et a rendu la situation explosive.

Le dialogue national initié par le pouvoir peut-il apaiser la situation ?

A ce stade, le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, n’y participe pas. On observe un hiatus entre la classe politique traditionnelle, comme les cadres de l’opposition qui ont accepté le dialogue, et le mouvement de Sonko, qui se place hors du cadre de sociabilisation politique classique sénégalais. Il mobilise des jeunes, urbains, qui baignent dans un discours régional souverainiste, connectés à la diaspora, friands de réseaux sociaux, pour qui les hashtags ont remplacé les pancartes. C’est un phénomène militant nouveau, loin des pratiques et du substrat culturel des partis, des syndicats, des associations ou même des mouvements sociaux. Ils n’ont pas les mêmes codes. Les manifestations sont plus violentes, tournent parfois au pillage. Personne n’est identifiable : pour la première fois, il n’y a pas de figure reconnaissable dans la rue. L’opposition y voit la marque d’un véritable soulèvement populaire, tandis que le pouvoir le considère comme un dangereux phénomène émeutier.

Les religieux, qui font habituellement office de médiateurs en temps de crise, sont-ils dépassés ?

Je ne crois pas. Mais dans cette crise, à cause de sa nature, les médiations sont extrêmement prudentes et discrètes. Dans l’histoire du Sénégal, les chefs de confréries se sont toujours illustrés comme les derniers remparts pour préserver la paix et la stabilité. Qu’on le veuille ou non, la société civile la plus puissante, ici, ce sont les religieux ! En 2021, déjà, quand l’arrestation de Sonko avait provoqué des manifestations violentes à Dakar [faisant au moins 10 morts], le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal, qui regroupe les représentants de tous les courants de l’islam dans le pays, avait apaisé la situation en lançant un appel au calme. Ils multiplient aujourd’hui les allers-retours et ont publié un texte appelant à «renouer les fils du dialogue entre tous les acteurs». Ils testent aussi la réceptivité de ces nouveaux militants, sans doute moins sensibles aux réseaux traditionnels d’influence de l’islam confrérique.

Quelle signification a la visite du président Macky Sall au calife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, lundi soir ?

Il n’est pas inhabituel que le président de la République aille s’entretenir nuitamment avec le calife général. Les opposants disent qu’il est allé chercher du soutien car il est en difficulté. Les partisans du chef de l’Etat et des analystes y voient au contraire un geste de respect et de sagesse à un moment critique pour le pays. Si le dialogue national était entériné par les chefs religieux, ce serait une décision très favorable pour le pouvoir. Macky Sall maîtrise les symboles et les codes. Il sait que dans la culture sénégalaise, la personne ouverte au dialogue est toujours mieux considérée. Les positions extrémistes n’ont jamais prospéré dans notre pays. Par ailleurs, Macky Sall a annoncé qu’il parlerait le 25 juin, à l’issue du dialogue national. C’est un signal intéressant : il montre qu’il suit son propre agenda, que celui-ci n’est pas dicté par l’opposition ni par la rue, et en même temps ce délai laisse la porte ouverte au Pastef : il n’est pas trop tard pour rejoindre la discussion. Macky Sall apparaît comme celui qui tend la main. 

Source : Liberation.fr

La Secrétaire Exécutive Adjointe de la Commission Nationale Electorale (CNE), Idrissa Diallo, a annoncé ce jour  6 Juin 2023, que les résultats provisoires des élections seront publiés le 7 du mois en cours, mercredi prochain. 

  1. Diallo a indiqué que le scrutin a été clôturé à 17 heures dans tout le pays et qu'il n'y a pas eu de problèmes de files d'attente.

Il a assuré que pendant les opérations précédant le vote, il n'y a eu aucune situation susceptible d'entraver le processus. 

"Nous avons assisté au processus de vote avec des journalistes, des partis et des coalitions de partis, des organisations de la société civile et des observateurs internationaux, qui ont surveillé et suivi, étape par étape, le déroulement du scrutin. Certaines d'entre elles étaient infondées et non pertinentes, tandis que d'autres, liées à du matériel électoral non sensible, ont été rapidement et correctement traitées", a-t-elle déclaré. 

Mme Diallo a indiqué que la CNE a été confrontée à deux ou trois situations qui méritaient une attention particulière, à savoir la situation d'électeurs dont les noms ne figuraient pas sur les listes électorales mais qui étaient titulaires d'une carte d'électeur, un fait constaté dans certains districts du secteur autonome de Bissau.  

Cependant, il ne s'agit pas seulement de problèmes informatiques, mais plutôt d'un manque de diligence de la part des électeurs qui n'ont pas profité de la période de réclamation pour permettre la correction de certaines irrégularités et omissions qui auraient pu être constatées pendant la période d'inscription de ces électeurs. 

"La CNE a utilisé les médias pour exhorter la population à rester calme, sereine et vigilante afin que les principes et les valeurs d'intégrité électorale, défendus par la Commission Nationale Electorale, puissent être préservés en tant qu'acquis démocratiques. Nous pouvons donc affirmer que les élections se sont déroulées dans une atmosphère de cordialité, de coopération et de solidarité entre les parties, et que les bases d'une élection ordonnée et pacifique ont été jetées", a-t-elle déclaré. 

Force est de constater que selon des sources dignes de foi, le taux de participation est estimé à 70%.  

Environ neuf cent mille (900.000) électeurs sont actuellement en train d’exercer leur droits civiques, ce jour 4 Juin 2023 ; date à laquelle se tient le scrutin législatif afin d’élire un Premier Ministre légitime qui va immédiatement former un nouveau gouvernement. L’Assemblée Nationale Populaire, pour des raisons de crise politico-institutionnelle profonde, a été dissoute le 18 Mai 2022 par décret présidentiel. La Guinée-Bissau se prépare à vivre sa 11ème législature depuis l’ouverture démocratique en 1994.

Les bureaux de vote ont ouvert à l’échelle nationale, comme prévu, à 7 heures temps universel, ce matin. Le scrutin se déroule normalement, à l’exception de certains districts électoraux un peu partout dans le pays, où des citoyens ont été empêchés d’exercer leurs droits civiques, faute d’être régulièrement inscrit sur les listes électorales. Il convient, par ailleurs, de constater que certains électeurs n’ont pas pu voter du fait d’avoir été mutés dans des bureaux de votes éloignés pour des raisons de congestionnement.

La Commission Nationale électorale (CNE), pour décongestionner les bureaux de vote ayant 400 électeurs, était obligée d’en muter l’excédent ailleurs. C’est le seul incident qu’il convient pour l’instant de signaler. A 17 heures, les bureaux de vote doivent fermer à l’échelle nationale afin de procéder au décompte des voix.

La presse a pu parler à certains leaders politiques qui ont voté dans la matinée à Bissau.

Domingos Simões Pereira leader de la coalition PAI constituée par le PAIGC et 18 autres partis politiques dont l’Union pour le Changement (UM) :

« Ce scrutin législatif va permettre à la Guinée-Bissau d’élire un nouveau Premier Ministre légitime. Les priorités du programme élaboré par la coalition sont les secteurs éducatifs et sanitaires. Notre souhait c’est que tous les citoyens exercent librement leurs droits civiques, sans restriction ni contraintes. Nous sommes persuadés que les bissau-guinéens sont déterminés à tourner la page douloureuse qu’ils sont en train de vivre actuellement » a déclaré Domingos Simões Pereira, peu après avoir exercé son droit de vote.

Braima Camara, Coordin ateur du Mouvement pour l’Alternance Démocratique (MADEM G15) :

« Je suis venu exercer mon droit civique. Je saisis l’occasion pour lancer un vibrant appel à mes concitoyens afin qu’ils sortent voter en masse » a affirmé Braima Camara.

Quelques électeurs se sont adressés, à leur tour, à la presse :

Dikson MADE, étudiant, 23 ans

« Mon vote est précieux et très important pour l’avenir de mon pays en tant que citoyen qui exerce son droit civique le plus inaliénable. La Guinée-Bissau traverse une crise de leadership sans précédent. Qui plus est, elle est confrontée à une inflation galopante qui se répercute sur les produits de première nécessité. Mon choix va porter sur le parti qui propose le meilleur programme de gouvernance ».

Malam Cissé, chauffeur de taxi, 32 ans

« Je suis venu voter pour trouver une issue à la crise politico-institutionnelle à laquelle mon pays est confronté depuis l’ouverture démocratique en 1994. Une crise qui s’est aggravée davantage en Août 2015, lorsque le président José Mario Vaz a limogé son Premier Ministre Domingos Simoes Pereira pour des raisons d’insubordination.

J’ai bien l’espoir que, cette fois-ci, le président et son premier ministre sauront cohabiter et renouer le dialogue rompu pour le bien de notre pays. La Guinée-Bissau a besoin de paix et de stabilité de son gouvernement afin de mettre un terme à la crise économique qu’il traverse depuis belle lurette déjà ».

Cadija Baldé, 28 ans, ménagère

« J’ai voté pour que mon pays retrouve la paix et la stabilité. Ce scrutin législatif va nous permettre d’élire un nouveau Premier Ministre et de faire en sorte que les jeunes puissent trouver de l’emploi en attirant un grand nombre d’investisseurs. Voilà l’une des alternatives pour combattre la faim qui est en train de sévir à Bissau et à l’intérieur du pays. 80% des familles vivent de la noix de cajou. Aujourd’hui ce produit stratégique se vend à 150 FCFA le kg alors que le gouvernement avait fixé le prix indicatif à 375 FCFA le kg depuis le début de la campagne de commercialisation au mois d’avril dernier ».

La présence turque en Afrique a suscité ces dernières années beaucoup d’intérêt chez les diplomates mais aussi les spécialistes des relations internationales. Elle est souvent analysée par les experts occidentaux sous le prisme d'une irruption dans un espace que certains considéraient comme une chasse gardée ou parfois avec une lecture inscrite dans le cadre de la nouvelle compétition des modèles entre puissances incarnant la démocratie libérale et d'autres qui seraient le symbole d'un retour des autocraties. Dans cette interview donnée par Dr. Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, revient sur la trajectoire de l'ancrage turc en Afrique subsaharienne avec une vision à partir du continent et des nouvelles réalités géopolitiques qui s'y dessinent. Cette interview est issue de la chronique hebdomadaire en partenariat avec Medi1TV en entretien avec Sana Yassari.

Dr. Bakary Sambe, Recep Tayyib Erdogan vient d’être réélu à la tête de la Turquie. Ces dernières années, il a été beaucoup question de la présence turque en Afrique. Cette réélection d’Erdogan va-t-elle renforcer l’implication de son pays sur le continent? Ou pourrait-on plutôt s’attendre à une rupture majeure?

Il est clair que le Président Erdogan avait initié une véritable politique d’intensification des relations avec l'Afrique. Mais un fait important est qu’Ankara, lui-même, a procédé au démantèlement de son propre instrument d’influence dans le cadre de la lutte acharné contre Gülen. Suite à la tentative de coup d’Etat de 2014, Ankara a fait pression sur les États de la région pour se débarrasser de deux structures qui faisait figure de relais de la diplomatie turque au Sahel qui réalisait une percée plus remarquée au sein de l’intelligentsia et des acteurs économiques majeurs : la confrérie Gülen et Atlantique Turquie Sénégal Association (ATSA). Alors que ce mouvement disposait d’une grande capacité de mobilisation et de déploiement à l’étranger, réunissant au sein d’une confédération de différentes associations d’hommes d’affaires qui comptent plus de 15 000 membres, des adeptes se regroupent autour de projets de grande envergure. Malgré l’intérêt pour l’Afrique, la prise de position du président Erdogan suite au retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan, ses déclarations sur les réfugiés menaçant la sécurité intérieure et la stabilité même de la Turquie en plus de son « problème kurde »,  ne laissent aucun doute sur les véritables préoccupations internationales de la Turquie. Oui la Turquie s’impose davantage sur le plan commercial et de la réalisation d’infrastructures bénéficiant, comme la Chine d’ailleurs, de l’image d’un pays sans passé impérial, principalement orienté vers la conquête de nouveaux marchés au détriment des anciennes puissances coloniales. Mais il est clair que les ambitions africaines de la Turquie vont bien au-delà de l’économie

Pour une analyse sur la durée, pourriez-vous vous expliquer comment la Turquie a pu s’implanter en Afrique au point de concurrencer aujourd’hui des puissances classiques qui commencent même à la voir comme un réel concurrent dans le cadre des nouveaux partenariats en cours sur notre continent?

Oui dès le début des années 2000, certaines initiatives turques venaient soutenir une politique étrangère qui prenait à peine ses marques sur le continent. La Turquie suivait, ainsi, les pas du Maroc qui s’appuyait sur l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI). Pour soutenir cette nouvelle politique, à l’instar des partenaires traditionnels et des nouveaux « players » dans la région, Ankara voulait se doter d’un outil d’échanges performant : la TIKA. L’Agence de coopération et de développement de Turquie ouvrit un Bureau Régional à Dakar en 2007. Dans ce contexte, la diplomate confiait que la politique étrangère turque vers l’Afrique « n’est pas seulement basée sur des objectifs économiques et commerciaux, mais intègre également une approche globale qui inclut le développement de l’Afrique par une assistance technique et des projets dans les domaines tels que la lutte contre les maladies, le développement agricole, l’irrigation, l’énergie et l’éducation, et un flux régulier d’aide humanitaire ».

Mais on sait que, culturellement et géographiquement, la Turquie est trop loin de ces régions où elle chercher un plus important ancrage. Cet ancrage est-il alors le fruit d’une stratégie d’influence à laquelle ses concurrents d’aujourd’hui n’ont pas fait attention ces dernières décennies ?

Effectivement, il persiste encore, de fortes pesanteurs qui ne militent pas en faveur d’une politique d’influence efficiente. Ankara est, certes, en train de réaliser une percée au plan économique avec la réalisation d’infrastructures telles que l’aéroport de Niamey au Niger et une forte implication dans la réalisation des projets de la nouvelle ville de Diamniadio aux alentours de Dakar Il y a aussi une redynamisation de cette politique dans le domaine éducatif religieux avec notamment l’implantation d’un complexe islamique dans la capitale guinéenne, Conakry où la Turquie a tenu à dépêcher des enseignants « sous contrôle » surtout après le « coup d’Etat » manqué de 2014. Mais, en définitive, le terrain sahélien pose encore à Ankara plusieurs défis loin d’être relevés pour s’affirmer en tant qu’acteur imposant dans le grand jeu qui s’y déroule. Ankara n’a encore ni la puissance économique de la Chine avec ses leviers diplomatiques et stratégiques, ni l’ancrage historique au sein de l’élite politique à l’instar des partenaires occidentaux et encore moins l’agilité diplomatique de se construire un capital-image au point de rattraper son désavantage par rapport au Maroc et à l’Arabie Saoudite, notamment, sur marché des biens symboliques et religieux. Mais cette présence turque en Afrique de plus en plus affirmée est une réalité géopolitique avec laquelle il faudra, désormais, compter.

 

Source : Timbuktu Institute

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