Insécurité Sahel : Le Burkina, dernier verrou vers l'Afrique côtière ? Spécial

La dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso, confronté à une multiplication alarmante des attaques djihadistes sur son sol, menace de s’étendre aux pays côtiers du Golfe de Guinée, jusque-là épargnés, préviennent experts et sources sécuritaires.

Héritant du chaos qui règne depuis 2012 au Mali, où prolifèrent les groupes liés à Al-Qaïda et l’Etat islamique (EI), le nord du Burkina Faso est confronté depuis trois ans à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières.

L’instabilité s’est rapidement étendue ces derniers mois à d’autres régions dont celle de l’Est, frontalière du Togo et du Bénin.

« Cet acharnement inouï semble indiquer que le Burkina est le dernier verrou que ces groupes veulent casser pour atteindre l’Afrique côtière », affirme à l’AFP Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, basé à Dakar.

Le nord de ces pays, considérés jusque-là comme des îlots de stabilité dans une région mouvementée, pourraient ainsi devenir des « zones de repli » pour les djihadistes retranchés dans des poches forestières et rurales isolées, le long de frontières réputées poreuses.

« Étendre leur champ d’action loin de l’épicentre actuel du djihadisme leur permettrait en outre de gagner un accès à la mer via les ports ouest-africains », et donc de nouveaux circuits d’approvisionnement en armes, estime M. Sambe.

Le 15 février, l’assassinat de quatre douaniers burkinabés et d’un prêtre espagnol qui revenait d’une réunion à Lomé, au Togo, peu après avoir passé la frontière, a renforcé les craintes.

– ‘Menace réelle’ –

Hormis la Côte d’Ivoire, frappée par un attentat ayant fait 19 morts en 2016 à Grand-Bassam, aucune attaque n’a été recensée dans les pays du Golfe de Guinée.

Mais des signes précurseurs y indiquent une activité croissante depuis quelques années. Dans le parc du W, à cheval sur le Bénin, le Niger et le Burkina, « des combattants originaires du Mali auraient mené dès 204-2015 une reconnaissance » jusqu’au Bénin, selon un rapport publié en mars par l’institut de recherche Thomas More.

Mi-décembre, les services de renseignement maliens avaient annoncé l’arrestation de quatre djihadistes burkinabés, malien et ivoirien soupçonnés de préparer des attentats dans ces trois pays pour les fêtes de fin d’année.

Plusieurs sources font également état d' »incursions récentes de micro-groupes » traversant la frontière burkinabé vers des petits villages du Togo et du Bénin, pour leur demander d' »interdire la vente d’alcool » ou « prêcher des messages radicaux » dans les mosquées.

Burkina, Ghana, Bénin et Togo ont mené en mai et novembre 2018 une vaste opération de lutte contre la criminalité transfrontalière, conduisant à l’arrestation de plus de 200 individus – dont plusieurs soupçonnés d’activités djihadistes – dans les quatre pays.

« La menace est réelle. Tout le monde est sur le qui-vive », confirme à l’AFP un haut responsable sécuritaire togolais, précisant que le dispositif militaire a été renforcé dans le nord après l’assassinat du prêtre espagnol.

« Les forces de sécurités togolaises et béninoises travaillent en étroite collaboration avec les Burkinabés », ajoute-t-il. « Ces derniers temps, des patrouilles sont régulièrement organisées dans les villages frontaliers, surtout la nuit ».

Selon l’agence de gestion des secours ghanéenne (Nadmo), près de 300 Burkinabés – dont 176 enfants – ont fui les violences dans leur pays pour se réfugier dans le district de Bawku (nord-est du Ghana) ces dernières semaines.

– Banditisme et trafics –

« Nous surveillons de près la situation avec notre voisin (burkinabé) », déclare à l’AFP le porte-parole de l’armée ghanéenne, le colonel Aggrey Quarshie.

Au Burkina, 90% des attaques ne sont pas revendiquées. Elles ont été pour la plupart attribuées à Ansaroul Islam, au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ou à l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS), mais une dizaine d’autres groupes, « plus petits et sans doute moins structurés » sont également actifs, selon l’International Crisis Group (ICG).

« Il est très difficile de savoir qui fait quoi exactement, dans la mesure où il s’agit d’une nébuleuse de groupes armés dont les relations évoluent au gré des alliances et des fâcheries », rappelle Rinaldo Depagne, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à ICG.

« Le Burkina, où l’Etat n’a pas les moyens de faire face, est devenu une sorte de maillon faible à partir duquel ils allument des foyers insurrectionnels », poursuit-il. « La multiplication des fronts leur permet notamment d’échapper à la tenaille des réponses militaires des armées occidentales et de la Force du G5 Sahel, qui les ont obligés à se disperser ».

Au sein de cette nébuleuse, interviennent également des groupes criminels sans idéologie particulière, mais attirés par la propagande des jihadistes et installés dans les zones frontalières, propices aux trafics en tous genres – contrebande d’armes, de drogues, orpaillage clandestin… – souligne M. Depagne, qui parle de « djihadisation du banditisme ».

Il reste toutefois difficile d’évaluer dans quelle mesure les groupes djihadistes parviendront à recruter au sein des populations locales. Mais selon plusieurs experts, le sentiment d’abandon, la pauvreté et le taux d’illettrisme dans ces régions éloignées des pouvoirs politiques et économiques pourraient à terme favoriser la percée des idées radicales.