Fatima Lahnait-Timbuktu Institute : «Il faut éclairer sur l’engagement des femmes dans l’action armée» Spécial

Consultante à l’Institute for Statecraft and Governance à Londres et au Timbuktu Institute de Dakar, Fatima Lahnait est historienne et enseignante en région parisienne. Après plusieurs travaux sur l’intégration des jeunes d’origine maghrébine en Europe et les femmes djihadistes, elle publie l’ouvrage Pasionarias pour dresser le portrait de militantes politiques armées qui ont marqué les 100 dernières années.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

L’idée a germé à partir des attentats de 2015 à Paris, lorsque des femmes ont été impliquées au sein du groupe terroriste qui a commis ces attaques. Dans ce cadre, j’ai beaucoup été sollicitée par les journalistes et par les médias pour commenter cette implication des femmes dans les mouvements djihadistes, car cela surprend les voir engagées dans des mouvements armés et avoir recours à cette violence.

Cependant, il faut savoir que l’engagement des femmes dans les mouvements armés est une vieille réalité autant que leur recours elles-mêmes à la violence politique. On a toujours eu du mal à l’accepter, ce qui m’a toujours intriguée. Il ne faut pas le considérer comme un phénomène nouveau, comme l’ont fait certains médias depuis 2015. Ce qui m’a intéressée est donc de connaître à travers l’histoire ces femmes qui se sont engagées dans la violence au nom d’une cause qu’elles considèrent comme juste, quitte à sortir du cadre normatif dans lequel leurs sociétés les assignent.

Ce livre tente donc d’apporter un éclairage, à travers le portrait de douze femmes, concernant leurs rôles et leurs places dans le cadre de mouvements ou de conflits armés. Elles ont fait partie d’armées de libération, de révolutions ou de résistants qui ont porté les armes et qui ont défié le regard de tout un monde où l’on assimile automatiquement ces actes à des hommes.

Sur quels critères vous êtes-vous basée pour sélectionner les personnalités qu’on retrouve dans votre ouvrage ?

D’abord, j’ai beaucoup lu sur le sujet puisqu’il y avait la jonction entre l’engagement dans un mouvement politique conduisant à un engagement vers une violence. Je me suis rendue compte que pour la plupart des femmes, des idées féministes viendront se juxtaposer à leurs idéaux. C’est là où il a été important pour moi d’éclairer les facteurs qui ont impliqué ces femmes à devenir des auteurs d’actes violents et comment vont-elles et ont-elles voulu transgresser les normes, tout en tentant d’imposer une égalité des genres sur le terrain de l’action.

J’ai également évoqué un point commun à ces femmes selon lequel il faut avoir véritablement foi en sa cause pour s’engager jusqu’à recourir à la violence. Je me suis dit que je n’allais pas me restreindre au sujet du moment où l’on parle beaucoup de djihadisme et de mouvements terroristes islamistes. J’ai préféré prendre du recul. L’engagement, qu’il soit pour les hommes ou pour les femmes, ne relève pas que des groupes extrémistes religieux. Il porte sur différents contextes et cas que l’on ne peut pas réduire à cela.

J’ai voulu donc élargir cette vision en menant des recherches sur différents mouvements. J’ai veillé à avoir une variété et une diversité géographique en incluant des portraits de femmes ayant vécu ces 100 dernières années en Afrique, en Amérique, en Europe et dans différents pays.

On a beaucoup parlé de l’engagement des femmes palestiniennes j’ai voulu montrer qu’après 1948, leur mouvement était laïc. Toutes les femmes ont eu foi en leur cause. J’ai été intéressée de voir chez ces femmes un passage de la foi en la cause à la foi religieuse qui se superposera à la cause initiale. Au début des années 2000, des mouvements vont effectivement adopter des revendications religieuses pour légitimer notamment l’action kamikaze.

J’ai intégré par ailleurs une seule femme jihadiste avec laquelle le livre se termine, tout comme j’ai portraitisé une femme qui s’est engagé au Ku Klux Klan. Il ne nous appartient pas de porter des jugements sur leurs engagements mais de comparer les sources et d’éclairer ce parcours personnel au-delà des idéologies, en lien avec le contexte dans lequel ces femmes vivent.

Avez-vous trouvé des difficultés à documenter la vie de ces personnalités ?

La période de recherche a été longue car je devais croiser plusieurs sources, en essayant d’être la plus impartiale et objective possible, tout en m’adaptant aux supports dans différents langues. J’ai également côtoyé des femmes engagées dans des mouvements extrémistes islamistes, mais je n’ai pas voulu inclure ces parcours, n’apportant pas une véritable valeur ajoutée au livre dans la mesure où je n’ai pas souhaité n’être que dans du contemporain et sans recul nécessaire.

Sur 12 portraits, j’ai tenté par ailleurs de représenter 12 engagements différents tout en montrant qu’elles étaient très lucides et clairvoyantes dans le cadre de la défense de leurs causes politiques, et c’est là où je souligne que le titre du livre n’est pas employé dans une connotation péjorative mais exprime l’engagent fervent de ces femmes.

Pensez-vous qu’un long travail reste à faire pour tirer de l’oubli les femmes qui ont marqué l’histoire ?

Certainement. Pour avoir un éclairage correct quant au rôle et à la place des femmes, il reste beaucoup à faire, ne serait-ce que par exemple, lorsqu’on aborde la thématique des femmes et des violences. Bien évidemment, nous en restons avant tout des victimes, que ce soit dans les conflits armés ou dans les violences conjugales et domestiques.

Cependant, les femmes peuvent aussi être actrices de la violence pour une cause politique à laquelle elles croient durement. Les femmes ont des opinions qu’elles défendent parce qu’elles font une réflexion préalable et pas parce qu’elles seraient sous l’emprise d’un homme qui l’y pousserait. Ce sont ces femmes-là qui m’ont intéressées à travers l’histoire et cet ouvrage est une contribution pour lever le voile sur cette question, bien qu’il reste beaucoup encore à exhumer pour expliquer ces engagements, dans une démarche d’empathie mais sans sympathie.