Après la présidentielle sénégalaise : Vers un effet domino régional ? Spécial

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Avec attention et inquiétude, nombre de pays de la sous-région ont observé le processus électoral pour le moins tumultueux, ayant eu cours au Sénégal. Historiquement réputé pour sa tradition démocratique, le pays semble, pour certains, avoir chancelé avant d’arriver à un dénouement rassurant : la victoire au premier tour de Bassirou Diomaye Faye, rapidement reconnue par le parti au pouvoir. Un triomphe qui a été largement accueilli sous le signe d’un espoir démocratique, dans un contexte régional où soufflaient depuis quelques temps des vents autoritaristes. C’est dans cette atmosphère que le Timbuktu Institute a organisé un Séminaire en ligne, le 17 avril, sur le thème : « Echos régionaux du changement politique : vers un réenchantement de la démocratie ? » avec un panel composé de : Mouhyddine Ouedraogo, juriste et défenseur des droits humains (Burkina Faso) ; Nodjiwameem Dioumdanem, journaliste multimédia et juriste (Tchad) ; Narcisse Nganchop, homme politique et président du PACTEF ; que Fousseini Diop, responsable des programmes gouvernance et engagement climatique à l’AJCAD (Mali), ainsi que Mougue Bibi Pacôme, juriste (Togo).

L’espoir, tel est manifestement le principal sentiment qui a émergé dans les consciences des jeunes issus de plusieurs pays de la région, à l’issue du processus électoral sénégalais, qui a vu la victoire du président Bassirou Diomaye Faye. « Les péripéties qui ont précédé cette récente élection symbolisent la persévérance et la capacité de résilience des jeunes. C’est un espoir qu’un monde politique nouveau est possible », s’enthousiasme Nodjiwameem Dioumdanem, juriste et activiste tchadienne. Même son de cloche chez le juriste et activiste burkinabé défenseur des droits humains, Mouhyddine Ouédraogo. « La présidentielle sénégalaise a été beaucoup suivie par les jeunes au Burkina Faso et au Sahel. C’est l’espoir de la démocratie africaine qui se jouait au Sénégal », remarque-t-il. Originaire du Mali, pays dirigé par un régime militaire depuis mai 2021, Fousseini Diop se montre également admiratif du processus électoral sénégalais. « Pour les jeunes au Mali, cela a été une lueur d’espoir. Le Sénégal a donné une leçon de démocratie en ce sens que, même quand les institutions tanguent, il est toujours possible de sauvegarder la démocratie », se réjouit le responsable programmes gouvernance et engagement climatique de l’association malienne AJCAD (Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie).

« La jeunesse togolaise a eu à cœur de suivre le déroulement de ce processus, qui fut assez largement relayée par les médias au pays. Et le Sénégal a été un exemple éloquent de ce que les peuples africains aspirent aussi à la démocratie », note pour sa part Mougue Bibi Pacôme, juriste togolais. Bien avant l’accession au pouvoir de Diomaye Faye, les idées du parti (ex-Pastef) avaient déjà commencé à inspirer au-delà des frontières sénégalaises. En témoigne, mars dernier au Cameroun, la création du Pactef (Patriotes Africains du Cameroun pour le travail, l'éthique et la fraternité) inspiré du modèle sénégalais et fièrement assumé par son fondateur, Narcisse Nganchop. « Élire un président par la force des urnes est un message d’espoir. Cela permet de se rendre compte que tout est possible. La victoire de Bassirou Diomaye Faye est celle du peuple sénégalais souverain. Son élection a réveillé en la jeunesse une flamme endormie », affirme l’homme politique en exil depuis sept ans.

« Si les Sénégalais l’ont fait, pourquoi pas nous ? »

Pour Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute et modérateur des échanges, la crainte était palpable. « Avec l’autoritarisme ambiant à la mode, on se demandait si le Sénégal allait passer du mauvais côté. Mais finalement, la victoire de Diomaye Faye a été un électrochoc pour des demandes démocratiques pressantes de la société civile et de la jeunesse », observe-t-il. De son côté, la juriste tchadienne Nodjiwameem Dioumdanem loue le dévouement du corps social sénégalais. « La vitalité de la société civile sénégalaise a été déterminante. La manière dont les activistes, journalistes et féministes se sont engagés a été admirable. Pas mal de jeunes tchadiens ont exprimé leurs ressentis, ce qui a même peut-être boosté l’opposant Succès Masra. On entend souvent dire que la démocratie est compliquée à mettre en œuvre en Afrique. S’ils l’ont fait, pourquoi pas nous ? », interpelle-t-elle. Pour rappel, le Tchad qui s’achemine actuellement vers une présidentielle est dirigé d’une main autoritaire depuis avril 2021, par un conseil militaire avec à sa tête Mahamat Idriss Déby, fils du feu Idriss Déby Itno.

« Le conseil constitutionnel sénégalais a non seulement annulé le report annoncé par Macky Sall, mais a su également rappeler le cadre dans lequel les élections devraient se tenir. Cela est vraiment admirable et montre que lorsque les institutions jouent leurs rôles, la démocratie tient. De plus, le fait que le parti au pouvoir ait reconnu les résultats provisoires des urnes seulement quelques heures après l’annonce des premières tendances est un signal fort. Ils auraient pu faire du forcing comme c’est le cas dans certains pays d’Afrique mais ils ne l’ont pas fait », affirme le juriste togolais, Mougue Bibi Pacôme. Avant de poursuivre : « Par exemple, au Togo, ils sont en train de faire une révision de la Constitution sans consulter les populations, sans passer par un référendum », déplore-t-il.

Le cas sénégalais semble ainsi ramener de l’optimisme sur les controverses au sujet de la compatibilité de la démocratie aux contextes africains, estime le Malien Fousseini Diop. « Certains confondent la démocratie et la mauvaise gouvernance. Les évènements du Capitole en janvier 2021 aux Etats-Unis montrent que la démocratie ne saurait pas non plus être parfaite. De plus, remarquons que l’armée sénégalaise n’est pas intervenue à l’instar d’autres pays. Comme quoi, c’est possible », juge le responsable à AJCAD Mali. Pour sa part, l’analyste burkinabé Mouhyddine Ouédraogo reconnaît que « même si on ne peut pas évacuer la légitimité des contestations de la notion de démocratie, le Sénégal nous donne la preuve que lorsqu’un peuple est éduqué aux valeurs démocratiques, les résultats sont là. On peut porter un programme de rupture tout en restant dans un cadre démocratique. »

Après l’espoir, de grosses attentes et des défis énormes

C’est peu de dire que l’immense espoir suscité par le nouveau pouvoir est proportionnel à l’amplitude des attentes auxquelles il doit désormais faire face. La renégociation des accords de pêche et de pétrole-gaz, le coût de la vie, le chômage des jeunes, l’avenir du Sénégal dans la zone Cedeao, la corruption, le raffermissement de la cohésion sociale…autant de défis qui donnent un aperçu de la tâche colossale. De son côté, Fousseini Diop du Mali estime qu’il faudrait être attentif à la gestion étatique du pouvoir. « Nous avons des jeunes de plus en plus décomplexés qui n’hésitent pas à regarder les choses en face, en témoignent les débats sur les accords de pêche. En outre, le duo à la tête de l’Etat sénégalais est une configuration intéressante, comparé à nos pays où les partis sont souvent représentés par un seul personnage. Toutefois, la cohabitation de Sonko et Diomaye au sommet du pouvoir sera déterminante et les Sénégalais devront faire preuve de patience », pointe-t-il.

Pour Mouhyddine Ouédraogo du Burkina Faso, le nouveau pouvoir sénégalais a, dans une certaine mesure, une responsabilité historique. « Il revient aux autorités sénégalaises d’être assez lucides et modestes dans les espoirs et les promesses faites car, lorsqu’on porte autant d’espoir et que ça échoue, cela crée des frustrations et peut faire un mauvais procès à la démocratie, avec le risque pour certains de céder aux sirènes de l’autoritarisme », prévient l’activiste défenseur des droits de l’homme. Pour sa part, la journaliste tchadienne Nodjiwameem Dioumdanem espère un raffermissement constant de la démocratie : « La démocratie ne se construit pas uniquement pendant les élections. Elle doit être constamment présente dans la vie active et publique, pour qu’on puisse continuer de rêver de cette démocratie africaine, promeuvant des valeurs démocratiques. En outre, les dirigeants ont une lourde tâche vis-à-vis de la jeunesse. Ils peuvent compter sur elle ».

Mougue Bibi Pacôme, lui, juge de bon augure du fait que le nouveau pouvoir ait évoqué la question du FCFA. « C’est une bonne chose qui dénote de la volonté des nouvelles autorités de repenser leurs rapports avec les partenaires internationaux, et plus généralement avec l’Occident. » Le fondateur du parti camerounais Pactef, Narcisse Nganchop, abonde plus ou moins dans le même sens. « Nos frères du Sénégal n’ont pas de complexe. Il faut que les peuples d’Afrique suivent ce chemin, avec des leaders plébiscités par la nation. Il revient à nos nations d’exiger du respect », soutient-il.

A en croire Ousmane Abdoulaye Barro, membre du cabinet d’Ousmane Sonko, les nouvelles autorités sont sereines à ce sujet. « Il n’y aura pas de problèmes avec les bailleurs. Le type de partenariats que nous avions jusqu’ici est caduque et les partenaires internationaux le savent bien. Nous sommes conscients des contraintes de l’administration de l’Etat mais nous voulons juste un partenariat gagnant-gagnant avec l’Occident, tout en renégociant nos relations sociales, politiques, économiques, et culturelles », rassure-t-il. Selon lui, la manière dont la classe politique et le peuple ont pu trouver une issue à la crise, a donné une preuve de « la baraka sénégalaise. » Rappelant l’idée que « rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu », Bakary Sambe préconise aussi la compréhension de la démocratie comme « affaire de processus et de construction. »

Juriste, universitaire et membre de la société civile sénégalaise, Fatou Thiam a cependant ressenti une crainte suite au nombre négligeable de femmes dans le gouvernement d’Ousmane Sonko : « Le gouvernement devrait repenser la représentativité des femmes dans les instances de prise de décision et leur implication dans la redistribution des richesses. Si on parle de rupture, cela devrait être observable sur tous les plans », avertit-elle. Tout en félicitant cette « avancée démocratique sénégalaise », Oumarou Sana, intervenant burkinabé insiste sur le fait que les pays africains et en particulier le Sénégal, « doivent penser une démocratie qui se base sur des ressorts et réalités socio-culturels spécifiques à chaque société. »

 

Par Kensio Akpo, Timbuktu Institute