Aux origines de la crise malienne Spécial

Nul n'ignore le contexte du déclenchement de la rébellion qui ébranla le Nord-Mali, fin 2012, ni la manière dont des Touaregs de la région de Kidal, puis des groupes extrémistes violents et partisans d'un islam rigoriste (Ansar Eddine d'abord, Al-Qaïda au Maghreb islamique et, plus récemment, le Front de libération du Macina) firent trembler Bamako. Nul n'ignore non plus que des régions de Kidal, Tombouctou et Gao ont sombré dans le chaos avant que l'opération Serval conduite par l'armée française à partir de janvier 2013 ne rétablisse un semblant de stabilité et d'accalmie au Mali.

 

Mais bien avant cette intervention, il existait des éléments factuels de nature à alimenter des inquiétudes. On peut citer notamment la présence des narcotrafiquants qui agissaient très souvent avec la complicité de la chefferie locale et d'une certaine hiérarchie militaire. Le septentrion malien constituait depuis longtemps déjà un terreau favorable à la constitution et au développement des groupes terroristes et des bandits armés. Ils y régnaient en maître, mettant en difficulté un Etat par ailleurs miné par la corruption et qui, de ce fait, rencontrait d’énormes difficultés à assurer aux populations locales les services sociaux de base.

 

Mais la présence des armées étrangères sur le territoire malien ne suffit pas à résoudre le problème sécuritaire que pose les groupes armés dans le nord et maintenant le centre du pays. Ceux-ci demeurent très actifs et multiplient les attaques contre les civils et les forces de sécurité. Les milliers d'hommes déployés sous la bannière de Barkhane (qui a pris la suite de Serval en 2014), de la Minusma (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali) et de la force conjointe du G5 Sahel n'y ont rien fait, ou presque. Aujourd'hui, les populations locales sont désemparées, déboussolées et apeurées, et l'on peut légitimement s'interroger sur la finalité des actions militaires entreprises au Mali aussi bien que sur l'utilité de la présence de toutes ces forces d'intervention qui, de par leur nombre, peuvent donner l’impression d’un chaos généralisé.

 

La communauté internationale mise beaucoup sur la force du G5 Sahel. La France, pour ne citer qu'elle, espère qu'elle lui permettra de se désengager de la sous-région, de contrôler les routes clandestines pour stopper le flux de migrants vers l’Europe et de sécuriser ses intérêts économiques à moindre coût tout en se prémunissant contre de possibles attaques terroristes commanditées depuis les confins du Sahara. Cette force conjointe a déjà mené deux missions expérimentales dans les zones situées à la frontière du Burkina et du Niger : les opérations Hawbi (la « Vache noire » en Songhoï) en novembre 2017, et Pagnali (« le Tonnerre » en Peul), en janvier dernier. Cette dernière a réuni 350 soldats burkinabés, 200 Nigériens, 200 Maliens et 180 éléments de la force Barkhane. 

 

Mais, happé par cette frénésie militaire, on oublie de rappeler que l’insécurité est d'abord nourrie et entretenue par la corruption des élites au pouvoir. C'était le cas avant 2012 et ça l'est encore aujourd'hui. Dans un rapport daté d'octobre 2014 qui avait fait grand bruit, le Bureau du vérificateur général questionnait déjà les modalités d'achat d'un aéronef et de matériel militaire. Trois ans plus tard, il écrit encore que « les défis restent énormes face à la délinquance économique et financière », citant le non-respect des textes législatifs, l'attribution irrégulière de marchés, des dépenses non autorisées, des dépassements budgétaires, l’utilisation irrégulière des ressources financières, etc.

 

L'outil sécuritaire doit se doubler d'une bonne gouvernance et d'une distribution équitable des services sociaux de base. Ajoutons aussi qu'il est inefficace de mettre sous tutelle les forces de défense et de sécurité du Mali : on ne vient pas en aide à une armée souveraine en la laissant sur la touche. Il faut donc renforcer la coopération militaire entre les forces en présence (car qui dit force conjointe ne dit pas réelle coopération) et prendre davantage en compte l’ingénierie locale dans l’élaboration des stratégies militaires, tant il est vrai que, par endroits, hiérarchie sociale et logique militaire sont antinomiques. Ce n'est qu'à ce prix que l'on pourra instaurer une paix durable au Mali.

Par Dr. Aly Tounkara

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